Un décret napoléonien du 20 juillet 1808 ordonne :"... que ceux des sujets de notre Empire qui suivent leculte hébraïque et qui, jusqu'à présent, n'ont pas eu de nom de famille ou de prénoms fixes seront tenus d'en adopter dans les trois mois (...) et d'en faire la déclaration par devant l'officier de l'état-civil de la commune où ils sont domiciliés."
Le dénombrement de 1784 recensait 3918 familles juives en Alsace. Dans l'actuel Territoire de Belfort, on comptait 2 communautés juives : Belfort avec 246 individus en 1808 et Foussemagne, avec 177 ; plus 2 familles à Roppe.
Cette archive est entièrement dépouillée ; lisa en a réalisé le dépouillement.


individus ont été relevés dans 

actes.Ce dépouillement est en ligne sous le titre "juifs Belfort & Foussemagne".
A Belfort, les adultes se sont présentés à la mairie du 10 octobre au 10 novembre 1808 et ont souscrit une déclaration pour eux-même et pour les enfants mineurs qu'ils avaient en charge.
On trouve donc des déclarations sur le modèle : 
ou (pour les mineurs) :
A Belfort, on dénombre 246 enregistrements (dont un probable doublon) dont 115 adultes.
Tous les adultes (sauf une femme) se présentent avec une identité initiale formée de 2 noms, dont l'un sera conservé comme nom et l'autre conservé ou modifié, servira de prénom.
Les "prénoms"
72 adultes sur 115 conservent leur "prénom" et le 43 le modifient. De même, le "prénom" de 32 enfants mineurs sur 231 sera modifié.
Remarquons toutefois que, parmi les 75 changements de "prénom", dans 32 cas au moins, le "prénom" initial avait été conservé, puis raturé comme ci-dessous :

(Heymann Piquart voulait rester Heymann PIQUART, mais deviendra Henry PIQUART -et signe une 2nde fois- ; il déclare d'ailleurs ses enfants avant que son prénom ne soit modifié)
Dans de nombreux (voire la majorité) des 43 autres cas de changement de prénom, il semble certain que le prénom initial, s'il n'a pas été biffé, a été effacé au profit d'un prénom de substitution :
(Guitel se devine encore sous Sara)
La logique de ces changements de "prénoms" semble se résumer ainsi : les officiers d'état-civil, après avoir accepté dans un premier temps toutes les propositions des déclarants, ont systématiquement exclu les prénoms à consonnance yiddish et les diminutifs (comme Jeannette) ; mais ils acceptent tous les prénoms d'origine biblique.
A contrario, leurs collègues de Foussemagne avaient refusé Baruch, Samuel, Judas (prénoms bibliques), mais accepté Marx.
Il semble donc qu'à Belfort, on ait essentiellement voulu exclure les prénoms de consonnance étrangère (germanique en fait) et que les fonctionnaires avaient une bonne connaissance des prénoms bibliques.
Les "noms"
Initialement, les juifs ne portaient pas de noms de famille ; ils étaient désignés sous la forme "David ben Aaron" (David, fils d'Aaron).
Les noms de familles firent progressivement leur apparition, en commençant par les communautés sépharades d'Espagne au 10ème siècle. Ils n'étaient pas nécessairement définitifs, et changeaient parfois à l'occasion d'une émigration.
Dans l'empire austro-hongrois, une loi imposa aux familles de choisir un nom fixe en 1787.
Avant le décret de 1808, les citoyens français juifs ne possédaient pas d'état-civil officiel ; néanmoins beaucoup étaient déja passés devant un officier d'état-civil, pour les naissances d'enfants, ou pour leur propre mariage.
A ces occasions, ils ont dû décliner une identité "standard" (du type NOM - Prénoms) ; certain d'entre eux ont sans doute à ces occasions souhaité adopter, dans une volonté d'intégration, le système en vigueur en France.
Ces parents, donc, avaient volontairement déjà choisi un nom (patronymique) fixe, et, pour certains, un prénom "français".
C'est ce qui explique qu'aucun d'eux ne change de nom (à Belfort) à l'occasion de ces déclarations, et que les changements de prénoms sont finalement minoritaires.
Contrairement aux prénoms, la grande majorité des noms restent héritiers de la tradition et de l'histoire des peuples juifs des pays germanophones.
Tout au plus, certains sont un peu francisés :
PIQUART ou PICART (très répandu dans la communauté belfortaine), et une forme francisée de BICKERT.
-
BERNARD remplace sans doute BERHNARDT
Notons, pour être complet, qu'une femme ne décline qu'un nom : "Fleur" (sans doute une traduction de Blum ou Blumele) ; elle devient "Marie FLEUR".
Les signatures
51 adultes sur 115 apposent une signature (voire deux, comme on l'a vu).
Une seule (celle de Meyer-Michel PICART) est (apparemment) hébraïque. C'est l'un des premiers de la liste. On peut supposer que (contrairement à Foussemagne), les officiers d'état-civil ont rapidement reçu l'ordre de les interdire. C'est ce qui explique le faible taux de signatures : à Foussemagne, 97% des hommes savaient signer ; à Belfort, sans doute autant, mais ils n'ont pas eu le temps de se préparer à apposer une signature en caractères romains.
Signification de quelques "noms"
Ces noms "de famille" avaient été adoptés, de façon définitive ou non, à un moment ou à un autre, par les familles :
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Issus d'un prénom (hébraïque ou dérivé) :
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LEVY (l'un des seuls qui avait valeur de nom de famille depuis des temps immémoriaux)
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(souvent le "prénom" du dernier ancètre décédé) MOÏSE, NATHAN, SAMUEL, MAYER, SIMON, ...
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Issus d'un kinui (surnom animalier accompagnant un prénom hébraïque)
BERNARD (issu de Behr, l'ours, kinui de Issachar) - Prénom non hébraïque :
FRANCK ; MAURICE
RUEFF (de Rudolf) ; MATIS (de Mattieu)
PICART est une francisation du nom de personne germanique BICKERT ou BICKHARDT (qui en français à donné Bigeard), ...
-
Issus d'un nom de lieu :
OUNGER = UNGER (Hongrois)
BLOCH, WELCH et WAHL (désignant les familles originaires -lointainement- de France ou d'un pays de langue romane)
SCHWOB (variante de SCHWAB : souabe)
BERNHEIM (localité de Bavière)
BRUNSCHWIG (ville d'Allemagne)
DREYFUS (désigne des personnes originaires de Trèves ou de Troyes, qui abritait au haut moyen-âge une importante communauté juive)
EBSTEIN (3 communes allemandes s'appellent Eppstein ou Eppenstein)
GUGENHEIM (Guggenheim près de Strasbourg ou Jugenheim en Rhénanie)
OULMANN (d'Ulm)
WEIL (commune d'Allemangne ou anagramme de Lewi)
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En rapport avec la profession :
ROTSCHILD (l'enseigne rouge) -
Autres cas :
- Faune et flore : BLUM (fleur), ADLER (aigle), HAAS (lièvre), ...
- HAUSER (de Haus : maison)
- SCHMOLL : sans doute un surnom
Les noms BATIGAL et SALLUCHIN ne semblent pas être germaniques, mais nous n'avons pas trouvé d'éléments sur leur signification. Rien non plus sur BUMSEL.
Sur les familles israélites de Belfort, dont cette source propose un instantané, on pourra lire l'article Parcours de grandes familles israélites de Belfort.
Le décret impérial portant sur l'adoption d'un prénom et d'un "nom de famille" par les français de culte hébraïque a été appliqué à Foussemagne entre le 2 et le 14 novembre 1808.
Une erreur de procédure rend le document qui en est issu particulièrement intéressant : en effet, l'officier d'état-civil a autorisé les déclarants (individus majeurs) à signer comme il le voulaient, ce qui fait que tous les hommes (sauf un) ont paraphé de leur nom en caractère hébraïque.
Cette signature n'a pas été validée par les autorités préfectorales, si bien que les individus concernés ont dû se présenter une seconde fois (en janvier 1809) pour produire une signature différente. Comme ils étaient incapables d'écrire en caractères romains, ils ont produit une vague marque sans le moindre intérêt.
Contrairement aux déclarants de Belfort, ceux de Foussemagne effectuent quelques changements patronymiques. Ils concernent essentiellement les enfants mineurs, qui pouvaient avoir reçu comme "patronyme" le prénom de leur père.
Comme, en France, les enfants légitimes portent le patronyme de leur père, la correction est faite au moment de cette déclaration.
Par exemple, (21) Meyer Lhémann a pour fille Quittele Meyer ; après la déclaration, le père change de prénom pour s'appeler François LHÉMANN et la fille change de nom et de prénom pour s'appeler Ursule LHÉMANN.
Dans quelques cas, les adultes changent de nom :
- des femmes : Thérèse Meyer devient Thérèse LÉMANN (30) ; Minguele Yssaac devient Magdelaine SPIRA (156) ; Trinée Moyse devient Anastase MARTIN ; s'agit-il d'un choix correspondant à la modification d'état-civil de leur père ?.
- un homme (62) : Jacob Habraam devient Jacob MARTIN.
Les changements de prénoms sont plus nombreux.
Tout porte à croire que certains prénoms n'étaient pas les souhaités ou pas acceptés par l'officier d'état-civil.
Il s'agit d'abord de tous les prénoms à consonnance yiddish :
- (masculins) Cerf, Quiche, Lhémann, Cheye ou Cheyas, Lyon, Hiche, Lipmann, Polach, Feysse,
- (féminins, très variés et probablement souvent déformés) Tsipre, Foyle (ou Fogle?), Cerlé ou Serle, Malen, Fromet, Trinée, Quittele, Leye, Jutelet ou Jetele, Printelet, Hindelet ou Hintelé, Raffe, Treyen, Contel, Reytselé, Cheyne ou Cheynele, Queylé, Elle, Reyelé, Pleinelé, Serette, Yohfely, Athel, Eque, Eftrelé (?), Minguele, Riffecat, Keyle, Attelle.
Mais aussi de certains prénoms bibliques :
- (masculins) Meyer, Baruch, Samuel, Elias, Natom (Nathan),
- (féminins) Judas, Estrelé (Esther), Lazara.