
Au début du XVIe siècle, alors que deux branches familiales coexistent, les descendances mâles vont rapidement disparaître, sonnant la fin de cette noble Maison.
Au même moment, la région de Belfort - Montbéliard - Héricourt connait d'importants troubles armés.
Les plus spectaculaires sont dus à la Guerre des Paysans, dont nous avons relaté dans cet article les épisodes documentés dans le secteur de Belfort.
Mais d'autres troupes que les "bons hommes" s'agitent. En particulier celles du comte de Furstenberg, époux puis veuf d'une des dernières héritières de la famille de Neufchâtel, et celles du duc de Wurtemberg, comte de Montbéliard, qui en est également héritier. Les deux se disputent les seigneuries périphériques à celle de Montbéliard.
Mais le protagoniste qui va le plus peser dans cette affaire complexe est l'archiduc d'Autriche, Ferdinand (2) de Habsbourg, roi de Hongrie et Bohème, frère de l'empereur Charles Quint et futur empereur lui-même.
La maison de Habsbourg a atteint en cette période une puissance et une extension remarquables.
En plus de l'imperium d'Allemagne, elle règne sur l'Autriche, plusieurs régions d'Europe centrale, le nord de l'Italie, l'Espagne, les Pays-Bas bourguignons, la comté de Bourgogne et la haute Alsace, sans parler du Nouveau Monde.
Cela n'empêche pas Ferdinand de chercher à acquérir encore de nouveaux fiefs personnels, même les plus petits, comme sa famille n'a cessé de le faire.
Et même, en l'occurrence, si cette acquisition repose sur des bases juridiques précaires.
Voici un arbre simplifié des 4 dernières générations de cette famille (en jaune, deux des protagonistes principaux de la procédure étudiée ici) :

Au début du XVIe siècle, les membres masculins de la famille de Neufchâtel meurent successivement, sans postérité mâle. La descendance de la famille se trouve réduite à trois cousines, Bonne et Élisabeth, sœurs (branche aînée) et Anne de Neufchâtel (branche cadette de Neufchâtel-Montaigu).
Guillaume, comte de Furstenberg (Wilhelm, graf zu Fürstenberg, 1491-1549) est le mari de la première. Nous l'avons déjà rencontré dans notre article sur la guerre des Paysans. Bien que membre lui aussi d'une ancienne famille noble, il apparait essentiellement comme un soudard à la tête d'une troupe de mercenaires, cherchant à se tailler un territoire seigneurial ou, à défaut, à se mettre au service du plus offrant. Rodolphe Peter (1988) le décrit comme un homme "sans scrupules".
Son épouse Bonne, dont il était légataire, étant décédée en 1515, il n'hésite pas, comme on verra ci-dessous, à vendre à l'archiduc Ferdinand, après l'avoir occupée, une part importante de l'ensemble de la succession des Neufchâtel, en y ajoutant la seigneurie de Granges qu'il avait prise par la force. Le tout sans garantie bien entendu.
Cette vente oblige donc Anne à s'opposer à Ferdinand pour conserver une partie au moins de l'héritage familial. Cette procédure se conclura en 1527 par le traité que nous étudions ci-dessous.
Comme on le verra, cette affaire de justice, qui n'effraie sans doute pas Ferdinand, ne l'amène pas non plus à se brouiller avec Guillaume de Furstenberg, qui ne pâtit pas de l'accord trouvé.
Avant d'étudier l'acte dans sa globalité, intéressons-nous à un détail, qui nous conduit à prendre un recul chronologique.
Au nom de l'archiduchesse Marguerite de Habsbourg (8), il est écrit dans cet acte :

(...) procureur de notre bien amée cosine [bien aimée cousine] dame Anne de Neufchastel, dame dudit lieu, d'Amance & (...)
Cette relation de parenté, assez systématique dans les familles de haute noblesse, y compris royales, est ici parfaitement traçable.
En effet, Agnès de Montfaucon-Montbéliard, ci-dessus épouse de Thiébaud VIII, est fille d'Henry II de Monfaucon-Montbéliard, dernier comte de Montbéliard de souche locale, petit-fils d'Henry Ier de Montfaucon et d'Agnès de Montbéliard, sœur de Jeanne de Montbéliard (cf. notre article Franchises à Beaucourt au XIVe siècle).
Ainsi, la duchesse Marguerite d'Autriche, sous l'autorité de laquelle l'acte qui nous occupe est passé, est bien cousine d'Anne de Neufchâtel, toutes deux descendant de Renaud de Chalon et Guillemette de Neuchâtel (5) à la 7ème génération.
Nous n'avons pas résisté à la tentation de dresser un arbre sur 9 générations (très simplifié) ; il fait apparaître les protagonistes manquants :

Les différents protagonistes du document sont à présent connus. Passons à l'objet du différend : les fiefs des Neufchâtel.
Les fiefs et places fortifiées détenus la famille de Neufchâtel ont connu de nombreuses mutations au cours des siècles.
Dans l'espace temporel de notre étude, ils se répartissaient entre les deux branches de la famille (arbre 1) : la branche aînée, issue de Thiébaud IX, et la branche cadette des Neufchâtel-Montaigu, issue de Jean II.
Ces fiefs sont géographiquement dispersés. Dans sa thèse, V. Muller en fait une étude exhaustive, en les rassemblant en plusieurs groupes géographiques répartis dans les départements du Doubs, de Haute-Saône, du Jura, et de Haute-Marne. Le noyau principal d'entre eux se situe cependant dans le secteur de Montbéliard. Les Neufchâtel possédaient aussi, comme on le verra, des terres nobles à la marge de la Franche-Comté historique, dans le Territoire-de-Belfort actuel.
Le traité que nous détaillons ci-dessous n'est en réalité que le dernier acte de la succession mouvementée des Neufchâtel.
On peut faire remonter l'affaire au testament de Thiébaud IX, maréchal de Bourgogne, souche de la branche aînée, en 1463 (arbre 1). Celui-ci stipule que si sa postérité masculine s'éteint, tous ses biens iront à la branche cadette, issue de son frère Jean II (armoiries ci-contre).
Ce cas de figure se produit en 1505, avec les décès successifs de ses fils Claude, père de Bonne et Élisabeth, et du cadet Guillaume. Et c'est donc Jean III puis Fernand (2), neveux de Thiébaud IX, qui deviennent ses héritiers.
Après le décès de son frère Jean III en 1509, Fernand concentre donc en théorie la totalité de la succession Neufchâtel (déjà en partie saisie par le comte de Furstenberg).
Mais l'affaire se complique encore en 1521, à la mort de Fernand. Le cas d'extinction de la postérité mâle de la branche cadette avait été prévu par Thiébaud IX. Ses biens devaient alors revenir aux hommes de la Maison de Cusance et, par défaut, aux descendants des deux sexes de sa tante maternelle la comtesse Henriette de Montfaucon-Montbéliard, sœur d'Agnès (arbre 2).
C'est ainsi qu'apparaît un autre protagoniste, Ulrich de Wurtemberg (arbre 2), qui, d'une part, était l'aîné des descendants d'Henriette, et, d'autre, avait acquis en 1507, pour renforcer ses prétentions, les droits éventuels des nobles de Cusance sur la succession Neufchâtel.
Revenons à Guillaume de Furstemberg : avec son beau-frère Félix de Werdenberg, sans tenir compte du testament de Thiébaud IX, il a fait main basse par la force, dès le décès de Guillaume, oncle de sa femme, en 1505 (arbre 1), sur les seigneuries ayant appartenu à ce dernier dans le secteur de Montbéliard-Héricourt, à savoir Clémont, Héricourt, Chatelot, L’Isle-sur-le-Doubs, Neuchâtel et Pont de Roide. Quant à la terre de Blamont, c'est Ulrich de Wurtemberg lui-même qui s'en est emparé en 1506.
Le testament de leur oncle n'étant pas respecté, Fernand et son frère Jean avaient intenté dès 1505 un procès à Furstenberg et Werdenberg et, en 1516, un arrêt de la cour de Dôle condamne ces derniers à restituer les biens usurpés (4).
Cette décision ne fut jamais exécutée, en attente d'appel ; les seigneuries restèrent occupées manu militari, en particulier, s'agissant d'Héricourt, par une garnison sous le commandement d'Hamann de Brinighoffen (ci-dessous).
Le 28 mars 1522, un nouvel arrêt de la cour bourguignonne (4) confirma celui de 1516, malgré les dispositions en faveur des Cusance et des Wurtemberg.
Mais sa mise en application était quasiment impossible. De plus, sur le terrain, la situation militaire était loin d'être simple : Furstenberg et le duc Ulrich de Wurtemberg étaient en guerre : le premier, ne se contentant pas des seigneuries usurpées, avait cherché à prendre possession des terres du second, en partie avec succès. Mais, en 1524, craignant une évolution défavorable des armes, Furstenberg choisit de vendre à l'archiduc Ferdinand les seigneuries qu'il prétendait posséder de la succession Neufchâtel.
En 1527, perdant espoir de l'application des jugements bourguignons, Anne de Neufchâtel choisit de négocier avec l'archiduc, le seul qui détenait un pouvoir effectif dans la région.
C'est ainsi que fut passé le traité du 21 octobre 1527.
Le document, conservé aux AD90 sous la cote 1J30 35 (1), est une copie de l'acte d'insinuation du traité de 1527 qui vient mettre un terme à la procédure opposant Anne de Neufchâtel à son lointain cousin l'archiduc Ferdinand d'Autriche.
Le traité a été passé sous l'égide de Marguerite d'Autriche, tante paternelle de Ferdinand et Charles Quint (arbre 2).
Cette insinuation comprend :
C'est la copie du traité de 1527 qui nous fournit les éléments les plus intéressants.
Il est d'abord détaillé les châteaux sur lesquels porte le litige entre les parties ; il s'agit de ceux de :
- Neuchâtel (25422 Neuchâtel-Urtière),
- Héricourt (70285),
- Châtelot (25524 Saint-Maurice-Colombier),
- Blamont (25063),
- Clémont (25393 Montécheroux),
- Montrond (25406 Montrond-le-Château),
- l’Isle-sur-le-Doubs (25315),
- Bourguignon (70089 Bourguignon-lès-Morey),
- Poinson (52394 Poinson-lès-Fayl),
- Pont-de-Roide (25463), qui était une dépendance de la seigneurie de Neuchâtel.
Voici la répartition géographique de ces châteaux ; nous ajoutons le fief de Montaigu, apanage de la branche cadette (3), Mancenans et Bourogne, dont il sera question plus loin.

Ces fiefs avaient donc été vendus par Guillaume de Furstenberg à l'archiduc Ferdinand le 15 mars 1524. La vente a été passée "sans garantie". L'acheteur s'apprêtait certainement à se confronter à des complications juridiques, mais, nous le verrons, il va s'en sortir plutôt avantageusement.
À l'affirmation de Ferdinand (par son procureur) que les "châteaux" lui appartiennent, Anne (par le sien) répond en se référant au testament de (son grand-oncle) Thiébaud (IX) et aux jugements rendus en faveur de son père et d'elle-même (en 1516 et 1522).
Après un bref rappel des attendus, on en vient à la teneur de l'accord, validé par l'empereur, qui est énoncée par Jean Masson de Goux procureur et négociateur pour l'archiduc.
- Ferdinand se voit céder par la dame de Neufchâtel tous ses biens et droits dans les fiefs d'Héricourt, L'Isle-sur-le-Doubs, Blamont, Clémont (Montécheroux) et Chatelot (Saint-Maurice-Colombier). En bleu roi sur la carte ci-dessus.
- Anne de Neufchâtel se voit rétrocéder ses biens et droits dans les seigneuries de Neuchâtel, Montrond, Bourguignon-lés-Morey, Poinson-lès-Fayl et Pont-de-Roide, ainsi que le fief en haute justice de l'abbaye de Lieu-Croissant [25365 Mancenans], dite des Trois-Rois, prieuré de Lanthenans. En bleu moyen sur la carte ci-dessus.
- Ladite Anne décharge l'archiduc et Furstenberg de toute obligation envers Antoine, bâtard de Neufchâtel (fils de Guillaume) et sa femme Marguerite de Vauldrey, qui bénéficient d'une rente annuelle de 250 francs estévenants.
- Elle paie sur-le-champ à Ferdinand la somme de 4000 florins d'or, "tant pour les biens meubles et artillerie" (dans les châteaux rétrocédés), que pour "les frais supportés par ladite majesté pour raison desdites seigneuries, tant pour envoyer en pays d'Espagne qu'ailleurs".
- Anne promet qu'elle ne contreviendra pas à ce que le roi, ledit Furstemberg et feue Bonne de Neufchâtel sa femme, "ont fait, traité, convenu et disposé ès châteaux, villes, titres et seigneuries" susdites "du temps qu'ils les ont tenus et possédés", à savoir :
- la diminution des haulteurs, droictures et appartenances d'iceux,
- l'affranchissement de 3 habitants de Goux, Piesans et Dambelin, et leurs familles de leur état de mainmorte,
- l'accensement de pièces à 2 habitants de Goux,
- la donation d'un moulin à Neuchâtel à un de ses habitants,
- diverses autorisations d'essartage à des habitants de ces seigneuries,
- et surtout, cette disposition, qui nous permet de relier le document à notre territoire et à d'autres articles, que nous développons ci-après.
Voici cette dernière disposition 5.f :

[Anne ne contreviendra pas] à la donation faicte par ledit seigneur comte à Haynement de Brunekoffe le jeusne, escuyer, de la mayrie de Boulongne en comté dite franche et des appartenances et appendices d'icelle mairye ...
Les seigneurs de Neufchâtel possédaient ainsi un fief noble à Bourogne. Le comte Guillaume de Furstenberg en a fait don à Haynement de Brinighoffen.
Haynement de Brinighoffen (nommé couramment Hamann dans les textes français) est issu d'une famille de petite noblesse de Haute Alsace. C'est avant tout un soldat, un officier, qui se met très tôt au service de Guillaume de Furstenberg.
La donation dont il bénéficie reçoit un éclairage intéressant dans le mémoire copié par Lablottier (6) :
"La seigneurie de Neufchâtel appartenoit anciennement à Guillaume de Fürstemberg qui l'a donnée à Hemmann de Breunikoffen le jeune pour récompense de dix-sept années de services. La donnation, sous la date du 18 novembre 1522, ...".
Malheureusement, comme de coutume dans les textes historiques des siècles passés, aucune source n'est citée.
Cependant, les biographies allemandes du comte de Furstenberg (comme 9, p. 11) s'accordent à mentionner qu'il a épousé Bonne de Neufchâtel le 22 octobre 1505 (il avait 14 ans) et que les époux résidaient usuellement à Héricourt. Si, dés le départ, Hamann de Brinighoffen est à son service, on arrive bien à 1522 au bout de 17 années.
Ce fief, qui restera aux mains des Brinighoffen et leurs successeurs jusqu'à la Révolution (cf. notre article) ne représentait pas la totalité de la terre de Bourogne. Ni même la majeure partie, du moins à l'origine. Le fief considéré comme dominant à Bourogne est celui qui est rattaché à la seigneurie de Delle, appartenant au XVIème siècle à la Maison de Habsbourg. Mais, encore à l'époque de la donation, il en existait pas moins de 5 autres.
Nous tenterons, dans un article ultérieur, de clarifier les connaissances sur ces fiefs, en utilisant en particulier le fonds des AD90 dont le document que nous étudions est tiré.
Revenons à la succession Neufchâtel. En réalité, en 1527, les seigneuries que Ferdinand déclarait siennes n'étaient déjà plus sa propriété !
Dés 1525, ils les avait en effet revendues à son trésorier général Gabriel de Salamanca, comte d’Ortembourg, pour la somme de 35 000 florins, ce qui lui procurait une belle plus-value en comparaison des 20000 qu'il les avait payées un an avant à Guillaume de Furstenberg (4). Même si lui non plus n'apportait aucune garantie (on vient de voir qu'il a pris soin de consolider a posteriori cette vente).
Les descendants de Gabriel de Salamanca-Ortembourg les conserveront quelques décennies.
Mais, en 1561, au prétexte qu'un certain Claude François de Rye, petit-fils d'Anne de Neufchâtel, s'était emparé d'Héricourt, les milices montbéliardaises et le duc de Wurtemberg font main basse sur Héricourt, mais aussi sur Clémont et Châtelot (il détenait déjà Blamont). En 1609, le duc d'alors obtint la cession de tous droits sur ces 3 seigneuries (4).
Le comté de Montbéliard prit alors la forme popularisée par de dessin de Schickhardt en 1616 :
Renaud de Chalon, quant à lui, est le second fils d'Hugues de Chalon et d'Alix/Adélaïde de Méranie, comtesse de Bourgogne. Son frère Otton IV est comte de Bourgogne.
Pour cette raison, Renaud et ses frères (Hugues et Jean) sont souvent appelés "de Bourgogne".
Cette publication soulève des interrogations. Lablottier n'est pas l'auteur du mémoire, qui n'est pas précisé. De plus, le texte semble bien dater de 1786, par son sous-titre ("[l'état où le village] se trouve en l'année 1786") et son style ("La seigneurie de Delle appartenoit ...").
Le mémoire est essentiellement consacré aux droits de haute justice à Bourogne.
Elle ne doit pas être confondue avec la Maison comtale de Neuchâtel en Suisse, ou Neuchâtel-Valengin ; l'usage est d'écrire Neufchâtel pour la première, et Neuchâtel pour la seconde, même si, de nos jours, les deux toponymes s'orthographient sans "f".
Elle est sans conteste, comme tous les Habsbourg, archiduchesse d'Autriche. Par contre, le titre d'archiduc ou archiduchesse de Bourgogne n'a jamais existé. Quant à ceux de comtesse de Bourgogne et de Charolais, elle ne peux s'en prévaloir que par délégation de son neveu l'archiduc Ferdinand, qui les a hérités de son arrière-grand-père Charles le Téméraire.
Marguerite agit plutôt ici comme gouvernante des Pays-Bas bourguignons, dont relevait déjà à l'époque du Téméraire le comté de Bourgogne. Ferdinand l'avait pourvue de cette charge en 1507. Le (ou la) comté de Bourgogne correspond à la Franche-Comté d'avant la Révolution, moins Besançon, ville libre impériale.

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