Le terrier de la seigneurie de Delle

D'après une reconstitution de la ville de Delle extraite de la Revue d'Alsace de 1914, via Gallica.

Par LISA
Archive : AD90 3E 931
En droit féodal, un terrier ou livre terrier est un registre où sont consignés l'étendue et les revenus des terres, les limites et les droits d'un ou de plusieurs fiefs appartenant à un seigneur (Wikipédia). On trouve également le terme de "renouvellement", dans le sens de "mise à jour des droits".

Il s'agit ici du terrier de la seigneurie de Delle, daté de l'année 1664, selon les archives départementales du Haut-Rhin, qui le conservaient jusqu'en 2005. Il est à présent conservé aux AD 90, dans le fonds Mazarin.

Les revenus et les droits d'un seigneur étant extrêmement divers, le contenu d'un tel livre l'est forcément tout autant.

Dans le souci de rendre son ouvrage plus accessible et plus pratique, son rédacteur, Claude Flotat, tabellion et greffier de la seigneurie (et notaire royal) s'est employé à dresser en fin d'ouvrage un "Indice ou repertoire des choses contenues en ce present livre de renouvellement des droictz, biens, rentes et revenuz despendans de la seigneurie de Delle, ce 1 Augst 1667".

En préambule, figure également une "Table des rubricques desquelles le present libvre de renouvellement est composé", auquel une main ultérieure a ajouté la précision "relative à la table qui est à la fin du livre".

Il est destiné à "Monseigneur le duc de Mazarini" ; en 1664, ce titre désigne Armand-Charles de La Porte de La Meilleraye, duc de Mazarin, neveu par alliance du cardinal, comme époux d'Hortense Mancini. Mais on peut penser que la requête de constitution de ce document a pu être lancée du vivant du cardinal. Quant à la date de 1667 figurant dans l'index, il s'agit de la date de fin de rédaction. Un délai de 3 ans pour la réalisation d'un tel ouvrage, compte tenu des enquêtes nécessaires au détail de chaque rubrique, est largement plausible.

LISA a effectué des indexations des personnes citées dans ce document, qui figurent principalement dans les déclarations colongères. Pour compléter ce travail, nous mettons ci-dessous l'accent sur quelques aspects échappant à l'indexation.

1. Plan du terrier

Tentons à notre tour de donner un plan de cet ouvrage :

2. Droits seigneuriaux

Tentons de catégoriser ces droits, selon des critères modernes :

Dés l'origine du système féodal, les droits des seigneurs ont deux origines, qui se mêlent souvent : les droits domaniaux et les droits féodaux. Les premiers résultant de propriétés foncières ou immobilières "immémoriales" ; les seconds relevant de la souveraineté.
La contrepartie des premiers étant la mise à disposition de terres, selon diverses modes de mise en valeur, et celle des seconds des obligations administratives, de toutes natures.
Mais certains droits sont impossible à affecter à l'une de ces deux catégories (ci-dessous, "Droits mixtes").
On a en dernier lieu des droits d'origine ecclésiastique qui ont été captés par les seigneurs laïques.

Il importe de préciser que la ville de Delle est dotée d'importantes franchises, comme on le verra en divers points.

Droits domaniaux :

Le terrier débute par la description détaillée des colonges situées dans les territoires des villes et villages de la seigneurie. Les colonges sont des tenures spécifiques à l'Alsace et pays rhénans, formées d'ensemble de terres, parfois très grands, pour lesquels les tenanciers devaient au seigneur, propriétaire "immémorial", une redevance annuelle fixe. Le maix (ou meix, en français manse, en provençal mas) ne se distingue guère de la colonge, sauf peut-être par une taille plus réduite.

En temps que propriétaire, le seigneur peut également percevoir des revenus sur des terres de sa réserve, mises en exploitation selon divers modes (censive, amodiation, fermage, condamines). Sur certains biens, les droits peuvent être partagés (par exemple, sur une forêt, le droit de pesnage est à la seigneurie, le droit de pâturage à une communauté).

Pour ses étangs, le seigneur propriétaire reçoit des redevances en nature. À Rechésy, la communauté doit 13 carpes et 8 livres de cire (2).
Pour les rivières qui sont à lui, le seigneur a le droit de pêche, qu'il amodie à un pêcheur.
Dans la plupart des cas, contrairement aux colonges, les redevances ne sont pas fixes, et ne figurent pas dans le terrier.

Reconstitution de la ville de Delle par Louis Herbelin, extraite de la Revue d'Alsace de 1914, via Gallica.
Le site structurae.org reproduit un panneau d'information de la ville de Delle, pour le château.


Droits féodaux :

En premier lieu, les impôts. Ils sont variés, et parfois insolites.

Impôts "directs" :

La taille a pour but théorique de faire contribuer les communautés villageoises aux charges de la seigneurie, en compensation de la protection accordée par le seigneur (Wikipédia). C'est un impôt fixe (par communauté ou par feu).
À Rechésy (fo. 401) elle se prélève en mars et à la Saint Michel ; s'y ajoute une redevance à Pentecôte, et des "hommages" à la Saint Gall, ce qui rapporte en tout 15 livres, 17 sols et 2 deniers. Chaque foyer doit de plus 2 poules.
Dans la mairie de Grosne, chaque sujet doit 3 sols.

Le fouage est étymologiquement le droit imposé à chaque feu ; son exemption (à Beaucourt) a été à la base des premières franchises de la seigneurie : voir notre article.

D'autres impôts appelés chavanages et charruages (pour ceux qui possèdent un attelage) (fo. 376 pour Delle ; ceux de Fêche doivent le fouage s'ils ont un chariot, mais ni chavanages ni charruages).

Taxes sur les ventes :

Les droits d'éminage, qui s'appliquent à la vente des grains. Ils peuvent représenter des redevances importantes ; voir notre article.

Le droit d'angal, sur les vins (appelé ici ungaulx). À Faverois, par exemple, la taxe est d'une channe par tinne, soit un vingtième (AD21 B503 : 1416). À Belfort, où il appartient à la ville, il représente une somme importante, majeure dans les recettes de la ville.

Le droit appelé gerbe aux chiens, qui consiste en une gerbe (unique) de chaque espèce que le sujet cultive. D'après le terrier de 1741, l'origine de cette redevance est la compensation du fait que les intéressés sont exemptés des droits de geolage lorsqu'ils sont incarcérés dans la prison seigneuriale.

Des droits de vente dus par les merciers sur certains marchés (fo. 390 pour Saint-Dizier).

Autres taxes :

Le droit de bienvenue, imposé à un étranger qui devient bourgeois d'une communauté (à Rechésy, 1 florin = 1 livre 5 sols). À Seppois, on parle du florin d'habitation, pour les nouveaux bourgeois, alors qu'un étranger qui n'est pas encore bourgeois y doit annuellement 1 florin au seigneur, et un à la communauté.
Le droit de distraction, qui s'impose aux étrangers qui perçoivent un héritage dans la seigneurie (fo. 377). À Seppois toujours, on parle du florin d'héritance, sans doute équivalent.
Le droit de patronage, touchant certains curés (Delle et Montbouton, fo. 384).

Droits de justice :

Le seigneur détient, la plupart du temps, un droit de justice, haute, moyenne ou basse, sur ses sujets. Ce qui lui impose d'organiser un système judiciaire, plus ou moins développé, avec un greffier (qui se confond souvent avec le tabellion) ; le cas échéant (haute justice), de recruter un "maître des hautes œuvres" (bourreau).
En contrepartie, il bénéficie de tout ou partie des amendes payées par les contrevenants, les "juges" se payant sur les "dépens" imposés à l'une ou l'autre des parties.

Il revient également au seigneur, comme c'est le cas ici pour Delle, d'édicter éventuellement des règles locales, de préciser des droits dont la justification repose toujours sur la coutume.

Le seigneur exerce, le cas échéant, le droit de nommer un ou plusieurs "officiers" le représentant dans une communauté : maire, grand maire, ou, pour des fonctions de police, sergent ou vouëble etc.

Tabellioné :

Il s'agit ici d'un droit marquant fortement la souveraineté d'un seigneur. Dans notre secteur, les tabellions seigneuriaux (ou comtaux pour le tabellion général du comté de Belfort) ont conservé une forte prééminence, malgré l'existence de quelques notaires royaux (5).
Le droit de tabellioné à un aspect commun avec les droit banaux, dans le sens où il comporte l'interdiction pour les habitants de la seigneurie de passer un contrat auprès d'un autre notaire ou tabellion (cf. Défenses faites par la seigneurie)

La seigneurie de Delle l'exerce pleinement, sur ses terres, voire sur celles de seigneurs de moindre importance (par ex. les petits fiefs de Bourogne). Sauf sur les bourgeois de la ville de Delle, qui ont leur propre tabellionné, ainsi que leur propre justice.

Milice :

Les sujets sont assujettis à la milice et garde du château de Delle (fo. 422).

Droits "mixtes" :

Certains droits sont impossibles à attribuer strictement à l'une des deux catégories ci-dessus, car ils sont relatifs à des biens appartenant au seigneur, mais excèdent largement ce dont un simple propriétaire pourrait bénéficier. Ces droits représentent bien une certaine confusion entre la personne privée du seigneur et la charge "publique" qu'il exerce.

C'est le cas des droits banaux, par lesquels le seigneur fournit aux sujets des installations techniques (moulins, tuileries, fours, saunerie, pierrière...) sur lesquels il perçoit des revenus. En ce sens, il pourrait s'agir d'un revenu associé à une propriété.
Mais, en sus, le seigneur interdit aux habitants d'en utiliser une autre de même nature. Et il instaure de sévères amendes pour les contrevenants (10 livres à Delle pour le moulin). Il s'agit cette fois d'un privilège féodal.
À Delle, par exemple, la communauté des bourgeois doit 1500 tuiles pour le droit banal de la tuilerie, plus les réparations du château.
Toujours à Delle, la saunerie (8) dépend de la ville, mais le seigneur reçoit aussi un paiement en nature (sel), qu'il revendra évidemment.
De façon plus anecdotique, on peut associer à la banalité le droit de "chastrerie", qui ne s'appuie pas véritablement sur une installation, mais sur l'exercice d'un "opérateur", désigné par le seigneur, et qui a le monopole de castrer les verrats, chevaux, taureaux (fo. 377 pour Delle).

AD90 1Fi 323 (extrait) ; b : butte castrale


De même les communautés rurales sont astreintes aux corvées. Obligations imposées par le pouvoir féodal, certes, mais qui s'exercent souvent au bénéfice des biens domaniaux du seigneur. Ainsi, à Delle, la ville, avec la "Haute Mairie" a l'obligation de faucher et faner un des prés de la seigneurie (fo. 356).

On peut aussi placer dans cette catégorie le droit de banvin, qui interdit aux sujets de vendre leurs vins avant que le seigneur n'ait écoulé une partie de sa récolte. Là encore, le seigneur exerce un pouvoir souverain pour favoriser le rendement de ses biens.

Ajoutons encore les droits de chasse : le seigneur a tous droits de chasse sur ses terres propres, mais aussi "dans le circuit, fin et finage de toute la juridiction, sans aucune exception, en bois communaux ou privés".

Droits d'origine ecclésiastique :

Il s'agit essentiellement de la dîme, qui à l'origine était destinée à l'entretien des églises et des ecclésiastiques. Au cours des siècles, des parts plus ou moins importantes de ces redevances devinrent l'apanage de seigneurs laïques (ou d'autres ecclésiastiques). À Delle, le curé en reçoit le tiers et le seigneur les deux autres tiers.
Cet impôt frappe toutes les productions, généralement à la hauteur de 10%. Pour son titulaire, elle offrait l'avantage de ne pas être d'un montant fixe, et d'une certaine manière de ne pas être exposée à l'inflation, mais l'inconvénient de la difficulté de son prélèvement (toujours amodié).
Lorsqu'il s'agit de récoltes, les grains sont entreposés dans la "grange dîmière" du seigneur (fo. 377 pour Delle). Notons que certaines terres sont "dîmées à la 11ème gerbe", c'est à dire que le prélèvement est de 1/11ème, au lieu de 1/10ème.

Il existe plusieurs catégories de dîmes, en fonction des terres auxquelles elles s'appliquent ; en particulier les "anciennes dîmes" et les "dîmes novales", ou novaulx ; on trouve même des "anciens novaulx" (fo. 388 pour Lebetain). Ces distinctions tiennent à l'ancienneté du défrichage ayant permis la mise en culture du champ

3. Populations

Il s'agit toujours du nombre de feux.

  sujets de la seigneurie autres sujets
Delle non précisé  
Lebetain 5  
Saint-Dizier 24  
Croix 20  
Villars-le-Sec 11  
Montbouton 5 2 à la seigneurie de Blamont
Beaucourt 3 autres à la seigneurie de Blamont
Fêche-l'Église 11 autres à la seigneurie de Florimont
Faverois 16 autres à la seigneurie de Florimont (1)
Rechésy 35 1 sujet résidant "au delà de la rivière", 
à la seigneurie de Florimont
Seppois-le-Haut 14 "allemands" (germanophones), et 3
"étrangers"
 
Joncherey 10 2 à la seigneurie de Grandvillars
Grosne 14  
Boron 9 1 à la seigneurie de Florimont
Vellescot 7 3 à la seigneurie de Florimont
Recouvrance 4  
Froidefontaine et Charmois 21 (3)  
Bourogne 12 (voir ci-dessous)
Boncourt 2 autres à la châtellenie de Porrentruy (4)


Le cas le plus complexe était celui de Bourogne (Boulloingne) (fo. 414 et suivants) : ce village était divisé en 7 fiefs relevant de 7 seigneuries ; voir la présentation de cette entité. Les deux principales étaient la seigneurie de Delle et celle des sieurs de Brunighoffen (Brünigkhauff), anciennement à la maison de Neufchâtel en Bourgogne (Neuchâtel-Urtière).
En 1585, Frédéric de Würtemberg, qui, suite à la Réforme, avait confisqué les biens du chapitre de Montbéliard, vendit la part de celui-ci à Bourogne à Jean-Georges de Brunighoffen.
Ensuite, les sieurs de Brunighoffen acquirent, en 1665 et 1667, les parts de deux autres seigneurs : les Landenberg et les Cœurmont ; ils ont également reçu celle d'un 3ème : le sieur de Spechbach. D'autre part, celle de Morimont a été incorporée à la seigneurie de Delle.
À la fin du compte, ce village n'a plus en cette année 1667 que 2 seigneurs : le seigneur de Delle (Mazarin), et le sire de Brunighoffen.
La seigneurie de Delle a le droit de tabellionage sur tout le finage de Bourogne, sauf sur les terres de Brunighoffen.
La justice cependant relève entièrement de Delle, mais, sur 9 juges, 2 sont des sujets de Brunighoffen, et 2 des autres seigneurs, au choix de l'officier de Delle. Mais les amendes vont au seigneur dont relève le contrevenant.

4. Réformations de la justice de Delle

Ce chapitre débute par 12 articles décrivant certains aspects du fonctionnement de la justice de Delle. Articles très techniques que nous laissons à des spécialistes des juridictions d'ancien régime.

À partir du folio 371, sont précisés divers points, dont principalement des rétributions ou amendes. Les voici, de manière résumée :

  • Au cas où un mineur, ou toute personne en incapacité d'agir en justice, doit comparaître, il sera représenté par un tuteur, agissant lui-même à travers un prévôt (procureur). Le tuteur, le prévôt et le conseil sont rétribués en chanes de vin.
  • Cas d'injures entre les parties : le coupable est condamné à 30 sols d'amende, répartis à égalité entre le prévôt, la ville et la partie injuriée. Idem pour la première récidive. En cas de seconde récidive, le fautif est condamné à 10 livres d'amende, pour le seigneur (moins 5 sols pour les juges).
  • Rétributions en séance ordinaire : pour les avocats : 8 deniers ;  pour le voueble, 2 deniers.
  • Rétributions lors de session concernant les étrangers (Gastgericht) : 15 sols 4 deniers pour les juges, et 2 sols pour le prévôt ; plus 2 sols pour les avocats (avant-parliers) ; pour le voueble, pour organiser et assigner les parties, 1 sol 4 deniers.
  • En cas de débat (agitation, rixe) en la ville de Delle, la justice seigneuriale n'est pas compétente, en vertu des franchises de la ville. Si une des parties concernées par ces faits porte néanmoins plainte auprès d'un officier seigneurial, elle est condamnée à 60 sols d'amende, dont 3 pour les juges. Si le débat conduit à un versement de sang, l'amende ci-dessus est aggravée à 10 livres pour le seigneur, dont 5 sols aux juges.
  • Exécution des sentences : en cas de condamnation pour dette, le débiteur pourra, après un délai d'une quinzaine, faire gager et vendre ses meubles à l'encan ; la vente étant définitive après un délai de 24 heures, pendant lesquelles le vendeur peut encore racheter ses biens.
  • Au cas où une dette a été assignée sur des pièces de terre, et que le créancier n'est pas remboursé, il peut faire procéder à une vente de justice ; mais si le débiteur rembourse ultérieurement sa dette, augmentée des frais de justice, il pourra reprendre les terres vendues.
  • Pour les scellés au sceau du prévôt, 4 sols.
  • Au cas où des témoins sont appelés et qu'ils ne corroborent pas les affirmations de la partie qui les a cités, elle devra donner 3 chanes de vin au voueble, et une aux juges.
  • Les conventions passées entre les bourgeois ou leurs familles devant un prévôt ont toutes leurs valeurs, selon les franchises de la ville.
  • Appels : les parties condamnées peuvent faire appel. Elles peuvent y renoncer jusqu'à la date de l'instance, si la sentence encourue excède 50 sols. En cas d'appel, le prévôt et les juges reçoivent 4 chanes de vin. Pour ses écritures, le clerc de la justice reçoit 10 sols. 
  • Les appels se font devant le conseil du haut châtelain de Delle, sans ouïr de nouveau les parties, mais par la lecture de la lettre d'appel rédigée par la justice. La partie appelante doit 10 sols au châtelain, et la partie appelée 5 sols. Si l'appelant est condamné en appel, il lui est infligé en sus une amende de 60 sols.
  • La 3ème instance se tient devant la cour d'Ensisheim, la partie demanderesse peut y renoncer dans un délai de 6 semaines.
  • Pour tout ce qui n'est pas inclus dans les articles de cette réformation, ce sont les coutumes et les franchises qui seront appliquées.
5. Défenses coutumières à Delle

Nous transcrivons intégralement cette partie, qui sert de référence pour certains actes de la justice seigneuriale.

Deffences coustumieres à faire
annuellement en la ville de Delle
et dans toutes aultres mayries
en despendantes

1. Premierement l'on deffend que personne aye à blasphemer
le nom de Dieu, ne jurer aulcung execrable serment
à peine d'un florin pour la premiere fois, et pour la
seconde et tierce d'estre chastier au corps et biens,
selon les mandements de noz souverains prince et
seigneur.

2. Item l'on deffend que personne de quelle qualité qu'il
soit aye à envoyer ses enfans ou pupilles en lieu
hereticques, soit pour y apprendre la langue, mestier
ou pour y servir, à peine d'en estre chastié selon les
edictz souverains.

3. Item que personne aye à faire aulcuns oeuvre
serville le sainct dismenche, ny aux festes qui seront
commandez par notre mere saincte esglise, à peine de
soixante solz d'esmende.

4. Item que personne aye à faire ou pourter dommage
aux hayes de nostredict souverain prince et seigneur
ny coupper bois à dix passez pres desdites hayes,
à peine dix libvres.

5. Item que personne aye à prendre oyseaux de proye,
à peine de cinquante libvres.

6. Item que personne aye à pescher aux rivieres, sinon
aux iours ordinaires, ny tendre deulx bourrons l'un
vers l'aultre, ny les ramer, ny aussy pescher avec
grand claire esticquetz, faict de delies fil, ainsin se
contanter de petits esticquet de groz fil (6), selon que
l'on soulloit user par cy devant, le tout à peine
de dix libvres.

7. Item que personne aye à prendre truittes que n'aye ung
poing entre la teste et la queüe, à peine de dix libvres
pour chacune truitette.

8. Item que personne n'aye à coupper bois pourtant fruict
comme chesnes, folz, pommier, poyriés, cerisiers, à peine
de cinq libvres pour chacune fonte, et y aurat suitte
jusques au feux, selon les mandementz souverains.

9. Item que personne n'aye à achepter seel hors de la
saulnerie de Delle, à peine de dix libvres.

10. Item que personne n'aye à coupper bois au Chasnois
à peine de cinq libvres pour chacune fonte.

11. Item que personne n'aye à prendre, ou faire bois
au Fahye (7) de Lebetain, ny en tous les fourest de 
la seigneurie, ny bois de la communaulté de
Lebetain, à peine d'en estre chastié selon l'ordonnance
des bois, et conventz communalx.

12. Item que personne n'aye à pourter dommage, ny
entrer au vergier et curtilz du Chasteau, à peine
de soixante solz.

13. Item que personne n'aye à mouldre graines hors
les moulins de notre prince et seigneur, sans licence
du baillifz, ou du monnier, à peine de dix libvres.

14. Item que personne n'aye à faire, ou payer lettres
de vendage, gagiere, constitution de cense, eschange
et autres contractz subjects au seel, ny aussy aulcung
traicté de mariage, testament, donnations hors le
tabellioné de la seigneurie de Delle, à peine de nullité
et de 10 libvres d'esmende, et seront lesdites parties
contrahantes attenues dedeans six semaines suyvantes
lesdits vendages, gagieres, eschanges, après les marchefz
faicts desclarer audit tabellion lesdits marchefz, et en
loüher lettres comm'il appartiendrat, sans user de
renonciations sur les vieilles lettres, comme l'on at
depuis quelque temps vollut faire abusivement, et en
fraude, tant audit tabellioné que des lignagiers
retractans, à peine d'encourrir ladite esmende de
dix libvres, et ce ensuitte de la resolution de très
haulte et laudable memoire fut l'archiduc
Ferdinand touchant les tabellionez en date du qua-
torzieme de novembre mil cinq cens nonante
deulx. Mesme serat tousiours permis et licite aux 
lignagiers d'user de leur droit de retraicte
pour estre telz marchefz fait en cachettes, et contre
lesdits esdictz.

15. Item que personne n'aye à achepter graine quelconque
pour revendre, ny tirer hors du pays, à peine de
confiscation de la graine, et d'en estre chastié selon les
reiterez mandementz souverains.

16. Item que personne n'aye à prester argent à cense de
graine, mesme que nul, de quel estat qu'il soit, aye
à prendre, ou recepvoir cense pour argent presté pour 
simple obligation, et par contrat licite, comme 
constitution de cense que de la libvre un solz, à peine
de chastois selon lesdits souverains (9).

17. Item que l'on deffend à tous banvard, à peine de soixante
solz, de n'entreprendre (10) sur l'office du voueble, sans 
son consentement et permission.

18. Item que aulcung bouchiers, ou gens couppans chaire
n'ayent à vendre ny coupper chair le jour de 

dismenche et festes de commandementz, comme l'on at
faict du passé, contre les presentes deffences,
à peine de soixante solz irremissiblement. 

19. Item qu'il n'y aye sergent, banvard ny officier
qu'aye à prendre gage aux subiectz de la seigneurie
sy ce n'est pour deniers seigneuriaux, et de
justice, sans deviance (deniance ?) de droict, ou permission de
la seigneurie, à peine de soixante solz.

20. Item que personne aye à pourter arquebuse
hors des royaulx homme, ny tirer bestes
quelconques, à peine de dix libvres ou d'avantage
selon la qualité du delict.

21. Item que personne aye à lever naisses, arbiers ou
vernol (6) appartenant aux pescheurs de la seigneurie
de Delle, à peine de dix libvres.

22. Item que personne aye à chasser perdrix, cailles
ny begasses en toute la seigneurie, à peine
desdites dix libvres.

23. Item que personne aye à vendre grains hors
l'esminage (11) de Delle, sans accourder avec
l'esminier, à peine de dix libvres.

24. Item l'on deffend à tous, soit hommes, femmes,
filz, filles, se marier hors de la seigneurie de Delle
sans le sceu d'icelle, et de messieurs de la Court,
signament en lieu hereticques, à peine de confisca-
tion de biens.

25. Item l'on deffend que personne s'aye à marier à femme
ou fille de main morte, ou taillable à aultres seigneurs
à peine d'estre privé de la seigneurie, et aultre
chastois selon l'ordonnance.

26. L'on deffend tous jeux, et aultres frivol esbattement
pour le grand scandal qui en reussit journellement,
à peine de soixante solz.

27. Item aussy à cause du grand scandal, l'on deffend
toutes gormandises et yurongneries, et qui serat
trouvé yuré, serat pour l'esmende d'un florin
pour la premiere fois, la seconde pour soixante
solz, la troisieme à peine de cinq libvres, et la
quatriesme, à peine de dix libvres.

28. Pareillement toutes illicites copulations charnelles
concubinatz sont deffenduz, à peine de dix libvres.

29. Item, quand aux vendages ou allienations d'herita-
ges est ordonné qu'il n'y aurat sur chacune
libvre du prix d'achapt, qu'un solz de vin. Et ne
seront les retirans lignagiers attenu de payer
d'avantage, mesme deffend-on tous abus à
l'execusion du droict lignagier, à peine d'en estre
recerchez et chastié selon l'exigence du faict.

30. Et comme vient journellement à notice le grand
abus et mesus qui se commect par les debteurs
mettans assignaulx speciaulx, comme champs, prelz
et choses semblables en des simples obligations, et 
sont d'aultres qui assig(n)ent une piece en divers lieux
ainsin qu'il se trouve par experiance, tant par
vuidage des decretz qu'aultrement, qu'est une tromprie
et fraude esvidante, directement contre droict et esquité
pour, et aultant que lesdits crediteurs se confient
en bonne foid envers leur debteurs, se treuvent ainsin
abusez en cas de discussion, ou à rigeur de droict, ne
faisant iceux à recepvoir selon l'esquité, requerans
estre pourveuz de payement sur telz et quelles non
privilegez du seel du tabellioné, et les posterieurs en
date. Pareillement deffend-on que personne, de 
quelle qualité qu'il soit, aye à hypotecquer pieces
quelconques en plus d'un lieu, sur peine de dix
libvres d'esmende, c'est pourquoy est ordonné à
tous notaires de ceste ville et seigneurie qui
recepvront doresenavant telles et quelles obligations
d'advertir lesdits crediteurs à la passation d'icelles
qu'ilz ne sont nullement asseurez desdits assignaulx qu'ilz
pretendroyent avoir pour le recouvrement de leur
dehuz aux simples obligations, à peine de ne recouvrer
aulcung interest sur iceulx, estant aussy cela du
debvoir des notaires (12).

31. D'aultre costel, et qui pis est, vient pareillement à
notice que la plus part des crediteurs font mettre
esdites obligations pieces d'heritages desquelles
en jouyssent pour la rente, ou cense, de leur argent
par maniere de gagiere, et d'aultant que cela faict
non seullement en fraude du tabellion, ains aussy
contre tous droictz et esquité, et à la foulle des
paysans l'on deffend et admoneste l'on un chacung,
de quelle qualité et estat qu'il soit, s'abstenir de telle
usure et illicite voye, à peine de confiscation de la
somme, que sy bien ilz voullent prester argent sur 
certaines pieces d'heritages, qu'ilz en ayent à passer
lettres de gagiere au tabellioné de ceans, comm'il
est requis, deffendant auxdits notaires ne recepvoir telles
obligations, ou plustost contractz usuraires, à peine de
chastois arbitraire. Sy est ordonné au groz voüeble de ceste
ville, par le serment de son office, d'après la publication
des presentes avoir son soingneulx esgard sur tous les points
cy devant desclarez et rappourter tous contrevenans
pour en faire chastois, comme le faict requerat estre
faict par raison.

On peut classer les règlements ci-dessus en une douzaine de catégories :

interdits de nature religieuse 1 2 3 18
interdits moraux et soclétaux 26 27 28  
restrictions applicables au mariage 24 25    
protection des biens du seigneur 4 5 12  
droit de pêche 6 7 21  
droit de chasse 22      
droits forestiers 8 10 11  
port et usage d’armes 20      
défenses banales 9 13 15  
protection et encadrement des offices seigneuriaux 14 17 19  
encadrement des créances et autres transactions 16 29 30 31
règlements fiscaux 23      

Notes
1. Le territoire de Faverois est divisé en deux par un "petit ruisseau", à l'ouest duquel se situe la seigneurie de Delle, alors que l'est est partagé avec celle de Florimont
2. Pour l'étang de la Huebe, qui, dans la description des étangs seigneuriaux (fo. 361), est censé "pouvoir porter 400 carpes".
3. Les habitants de Froidefontaine et Charmois ne forment qu'une communauté, qui "est à" la seigneurie de Delle, cependant, ils sont censables et justiciables du prieuré de Froidefontaine (qui désigne un maire pour ses sujets). La seigneurie de Delle "a été choisie anciennement pour être protecteur et défendeur dudit prieuré, de ses droits, censes, rentes et revenus".
4. Le territoire de Boncourt appartient en indivis à la seigneurie de Delle et à la châtellenie de Porrentruy (fo. 420), qui exercent alternativement sa défense.
5. Un notaire royal, Mansuit Mangenot, a exercé à Belfort pour le bailliage royal du même nom de 1685 à 1724, mais il n'avait pas rang sur le tabellion général du comté ; il a ensuite siégé à Colmar. D'autres tabellions ont eu le titre de notaire royal, mais cet office n'a pas prévalu sur leur charge de tabellion seigneurial (comme Claude Flostat à Delle).
6. On a ici plusieurs techniques de pêche aux filets. Le bourron est un filet à pêcher en forme de grande poche (Contejean, Glossaire du patois de Montbéliard, 1876). L'eticquet est un filet de pêche carré (Französisches Etymologisches Wörterbuch).
La naisse est une nasse, l'arbier et le vernol sans doute aussi d'autres filets de pêche.
7. Bois du Fay, à Lebetain
8. La saunerie est ici le magasin à sel, où les pains de sel étaient entreposés
9. Cet article interdit deux pratiques :
- de percevoir des censes (assimilables à des intérêts) en grains pour un prêt en argent,
- et surtout de ne pas respecter le taux institutionnel des censes de 5% : un sol pour une livre.
Le tout sous peine d'un châtiment...
10. ici, entreprendre sur = empiéter sur (ATILF, Dictionnaire du Moyen Français 2015)
11. Droit perçu sur la vente des grains, mesurés par émine / hémine (mesure évaluée à 2 bichots en Bourgogne)
12. Cet article est assez complexe, mais peut se résumer par la condamnation d'une pratique frauduleuse des débiteurs consistant à assigner plusieurs fois la même pièce de terre comme caution d'emprunts. Il est également demandé aux notaires d'avertir les créanciers que les biens assignés ne sont pas garantis, et qu'ils les acceptent à leurs risques et périls.