La frontière Alsace-Bourgogne
Borne 227 du sentier des bornes frontières de la principauté de Montbéliard (Brévilliers / Châtenois) ; à g. écusson des Habsbourg ; à d. écusson 4/4 des Würtemberg
Par LISA


Voir aussi l'article Bocourt, village bourguignon et alsacien (2) : bornes frontières


1. Bornes et écus de la frontière

Les frontières de la Principauté de Montbéliard (confins septentrionaux de la Bourgogne historique) ont été matérialisées par une ligne de bornes, dont un certain nombre ont traversé les siècles et sont encore bien visibles aujourd'hui ; les plus anciennes datent du 15ème siècle. Elles séparaient les terres de la Principauté (comté de Montbéliard, seigneuries de Blamont, Héricourt, Clémont, Châtelot, Etobon) de celles :

  • des seigneuries de Lure, Granges et l'Isle-sur-le-Doubs en Franche-Comté
  • de l'évêché de Bâle (puis canton de Berne)
  • des seigneuries et comtés de l'Alsace francophone, autrichiens puis français à partir de 1648.

C'est à cette dernière partie que nous nous intéressons, des communes de Croix à Buc.

Ces bornages ont été réalisés à plusieurs époques ; 5 séries au moins peuvent être distinguées :

  • La borne (peut-être) la plus ancienne (Banvillars) date du XVème siècle (calcaire, entre 1450 et 1505) : elle présente , coté Alsace, les armes de la famille de Morimont, seigneurs engagistes de Belfort de 1450 à 1563.
    blason des Morimont : équipolé d'argent et de gueules
    (autre face) blason des Neufchâtel (en Bourgogne), seigneurs d'Héricourt de 1377 à 1505

  • Un groupe de bornes (St-Dizier, Beaucourt, Montbouton) porte la date de 1543 ; 2 d'entre elles portent, coté d'Alsace, les armes des Habsbourg
    (St-Dizier) blason des Habsbourg, de gueules à fasce d'argent
    la date entoure l'écu :
    15[ ]43
    la même, coté Beaucourt, avec le blason "de la comtesse Henriette" sur écu "d'Allemagne"
    2nde borne : mêmes armes et même date (sur cette face, "43" au dessus de l'écu)
    (St-Dizier) même date, écu martelé (coté Bourgogne similaire)

  • Plusieurs groupes de bornes, non datées (entre XVème et 1636), portent également les armes des archiducs d'Autriche
    (Montbouton) petites bornes, gravure médiocre
    (Fêche-l'Eglise) borne brisée ; coté Bourgogne, blason "de la comtesse Henriette" et "B" de Badevel
    (Châtenois) grande borne cassée puis recollée ; coté Bourgogne, blason "de la comtesse Henriette"
    (Châtenois) magnifique borne en grès : côté Alsace (Habsbourg)
    la même, côté Bourgogne, blason des Würtemberg

  • Quelques bornes (Fêche l'Eglise à Méziré) portent la date de 1614 ; 2 ou 3 portent des fleurs de lys (armes du roi de France); cet anachronisme ne peut s'expliquer que par une regravure, sans doute au XVIIIème siècle (initialement, ces écus n'avait peut-être pas été gravés)
    (Méziré) la qualité médiocre de la gravure n'est pas contemporaine avec celle de l'autre face ; les fleurs de lys du haut ne sont pas sur la même horizontale, ce qui rend probable une regravure sur place
    la même, côté Bourgogne ; blason des Würtemberg encore visible
    (Fêche-l'Eglise) (re)gravure de même type
    (Grandvillars) face Alsace ; il semble que les gravures de fleurs de lys aient été martelées
  • Un groupe (Montbouton, Beaucourt), sans date, porte, coté Alsace, les armes (couronnées ou non) des ducs de Mazarin, comtes de Belfort et seigneurs de Delle (sans doute antérieures à 1740)
    Ecu surmonté de la couronne ducale
    Borne voisine, couronne absente
    Armes des ducs de Mazarin : "d'azur à une hache d'armes d'argent posée en pal au pied fiché, environnée d'un faisceau de même lié d'argent, une fasce de gueules chargée de trois étoiles d'or" ; sur ces bornes, l'écu coté Bourgogne n'est pas gravé (ou a été martelé)

  • Plusieurs groupes portent, coté Alsace, les armes de la maison de France et des dates de 1742, 1743, 1783, 1784. Les installations de ces bornes étaient motivées par la lutte contre la contrebande.
    (Croix) 1743 ; on distingue mal les armes de France : "d'azur à 3 fleurs de lys"
    (Méziré) 1784 ; seule borne de ce groupe dont l'écu a été conservé (retrouvée enterrée)
    la même, côté Bourgogne ; armes des comtes de Montbéliard

    Cas particuliers des villages mi-parties :

    Malgré les droits de seigneurs de Delle (Habsbourg puis Mazarin) sur une partie de cette communauté, Beaucourt est considéré comme partie intégrante de la principauté de Montbéliard : par exemple, la 1ère borne de la "2nde série" ci-dessus, à la limite entre St-Dizier et Beaucourt, porte les armes Habsbourg du coté de St-Dizier et les armes de la comtesse Henriette de Montbéliard du coté de Beaucourt.
    Plus au sud, la situation de Montbouton est plus ambigüe : la ligne des bornes commence en plaçant ce village dans la partie d'Alsace, et reprend ensuite plus loin pour le situer dans la seigneurie de Blamont.

Beaucoup de blasons ont malheureusement été martelés à la révolution. D'autres ont subi l'usure des temps.
De nombreuses bornes, présentes sur des cartes anciennes, ont disparu. Les plus belles sont celles qui, ayant été enterrées, ont échappé au zèle révolutionnaire ou aux intérets particuliers.

Depuis quelques années, un sentier balisé (à l'initiative de l'Association "la Randonnée Hérimoncourtoise") suit en partie cette ancienne frontière et permet de découvrir ces remarquables éléments du patrimoine local.



2. Entre Châtenois et Brévilliers



De nos jours, il subsite 4 bornes entre les communes de Châtenois (90) et Brévilliers (70). Voici leur localisation, selon la numérotation de la "Randonnée Hérimoncourtoise" :

Fonds de carte OpenStreetMap


Parmi celles-ci, les numéros 227 et 228 :
Borne 227, côté "Autriche"
Borne 228, coté "Würtemberg".
très semblable au verso de la précédente

On ignore combien de bornes étaient en place au XVIIème siècle, mais deux d'entre elles sont à l'origine d'un document du 4 février 1615, écrit par le maire de Châtenois, Nicolas Meillière, aux autorités de la seigneurie de Belfort ; conservé dans le Fonds Mazarin (3E 519) :

Advertissement de Nicolas Meillière maire de Chastenoy
Devers des bosnes (1) entre Montbéliard & ceste seigneurie dommaigées.


À messeigneurs les
Gouverneur et officiers
de Belfort,

Le soubscript maire de Chastenoy,
humble serviteur de V. S. donne
advertissement que, ayant entendu
certaines bosnes estant entre le finaige
dudit Chastenoy & celluy de Brevellier,
séparant les seigneuries de Belfort
& Héricourt avoir esté mis par terre,
il s'y est incontinant acheminé et
a retreuvé deulx desdites bosnes où
sont esté enlevé avec force en
l'une les armorie de nos souverains
princes et en l'autre celle de
Wirtembert & en aulcune aultre
estant encor prouche d'icelle, ce
voiant & recongnoissant plusieurs
couptz de hache que sont à presumé
avoir esté faict à intantion de les
randre semblable aux deux susdites
que n'a peu touteffois avoir effect,
qu'est tout ce qu'il y a peu
recongnoistre, à C[ha]tenoy ce 3 de febvrier
1615.


Simple vandalisme ou querelle de frontière ?

NOTES

1 P. Delsalle donne, dans "Lexique pour l'étude de la Franche-Comté à l'époque des Habsbourg" (PUFC 2004) "bosne" pour variante de "borne".

Cet article est publié par LISA sous la seule responsabilité de son auteur.  
Pour envoyer un message ou un rapport concernant cet article, veuillez vous connecter.