Les moulins de Delle
Par LISA
Archive : AD90 8B 247
A la fin de l'ancien régime, il existe 2 moulins banaux à
Delle, alimentés tous deux par la rivière Allaine.
- Celui implanté dans le mur d'enceinte de la ville,
côté est, directement sur la rivière, à
proximité du pont ouvrant sur les routes de Huningue et
Porrentruy,
Louis HERBELIN : reconstitution Delle : 1914-1919 SBE A 500
- Un autre moulin (sans doute plus ancien), au sud-est du bourg,
à environ 250 m
de l'angle sud-est de l'enceinte, sur un canal (ou "bief") amenant les
eaux de la rivière depuis une écluse sise sur le finage
de Boncourt, à environ 1500 m du moulin. Il est
associé à une "ribe", ie. un foulon à chanvre,
installé sur le même canal, en amont.
Plan
de
Delle en 1770 : h : moulin de l'enceinte ; j : moulin
extérieur
; k : ribe ou foulon à chanvre.
|
On
retrouve, une quinzaine d'années plus tard, ces trois moulins sur la carte de Cassini : |
La côte ADTB 8B 247 est constituée d'une trentaine de pièces relatives à des amodiations de moulins* de la seigneurie de Delle, dont celui-là.
Nous en tirons ci-dessous une synthèse concernant ce moulin.
L'ancien
moulin de Delle au 17ème SIECLE
|
Aspect technique
On peut se faire une idée de la structure de ce moulin grâce aux procès verbaux de visites effectués par des meuniers "indépendants" à chaque renouvellement d'amodiation.
Le moulin est triple : le "gruaut", le moulin "du mitan" et le moulin "devant".
Pour chacun, comme pour la ribe, une roue (certainement verticale), alimentée par un cheneau conduisant l'eau entraîne un arbre (grosse pièce de bois) horizontal.
Par un système d'engrenage en bois ("roué" ou "rouet"), le mouvement est transmis à une pièce métallique (un "gros fer") verticale puis à la meule courante tournant sur la meule gisante. Les meules sont cerclées d'un coffrage de bois évitant au grain de s'échapper.
L'ensemble est complété par des cuves alimentant les meules et recueillant la moutûre.
Rappelons à cette occasion que la céréale la plus cultivée en cette période est l'épeautre, plus adaptée au climat ; elle devait être "égrugée", c'est à dire mondée de sa paille, pour donner ce qu'on appelait le "grû" ; cette opération était effectuée par le "gruaut", ou moulin égrugeoir.
L'avoine servait à l'alimentation des chevaux et à l'alimentation humaine, sous forme de bouillie ("paipai").
Le froment (qui fournit le pain blanc) était réservé aux riches.
Le bâtiment comporte aussi, à cette époque, un logement pour le meunier (ou ses serviteurs) : cuisine et poële (chambre). Il est complété par une écurie et une grange (construites par Antoine RICHE au cours de son amodiation 1677-1689).
La ribe a dû être construite entre 1665 et 1675 par le meunier Jean RICHE ; elle a été déplacée plusieurs fois ; en effet, en 1689, les meuniers expertisant l'ensemble de l'exploitation déclarent : "la ribbe que le meunier [Antoine RICHE] a nouvellement transportée où elle est tout-à-fait inutile en ce lieu et qu'il aurait mieux fait de la laisser où elle était".
Le bief du moulin est alimenté par une écluse sur l'Alaine. En 1690, cette écluse est en très mauvais état ; pour diverses raisons topographiques, elle fonctionne mal et les prairies avoisinantes sont inondées et défoncées (à cette époque, la rivière était tortueuse entre Boncourt et Delle, comme elle l'est encore aujourd'hui sur l'essentiel de son cours) ; il serait coûteux et inutile de la réparer. Les experts conseillent d'en construire une autre, plus en amont. Une autre expertise (en 1690) désigne un site favorable, sur le finage de Boncourt (village appartenant moitié au seigneur de Delle, moitié à l'évèque de Bâle).
En 1697, rien ne doit encore être entrepris, car une nouvelle visite détermine que les écluses sont "en très pauvre état, rompues en plusieurs endroits, incapables de pouvoir servir, et impossibles de pouvoir entretenir en ce même lieu, étant de nécessité de les faire construire plus haut, alors on les pourrait entretenir...".
En 1698, la nouvelle écluse est construite (ou en cours) et le bief prolongé ; mais les propriétaires expropriés se plaignent d'avoir été insuffisamment indemnisés.
Aspect économique
Le moulin est banal, c'est à dire que les habitants de Delle ("sujets moullants") ne peuvent faire moudre leurs grains ailleurs (sauf à devoir néanmoins verser au meunier de Delle une redevance).
Le meunier amodiateur a le devoir de moudre "fidèlement, justement et loyalement" les grains "des riches comme des pauvres", "le plus tôt que faire se pourra", sans les conserver longtemps au moulin, "sans changer les graines", et "sans prendre plus haut que la juste mesure accoutûmée, qu'est une coupe par quarte".
Sachant qu'une quarte vaut 24 coupes, la redevance du meunier est donc de 1/24 des grains qu'il mout.
Le moulin est un fief seigneurial ; le seigneur (Habsbourg avant la guerre de 30 ans, Mazarin après) l'amodie à un meunier pour une durée variable (de 1 à 15 années).
Le meunier verse au seigneur une rente annuelle, en nature et en espèces.
Sur la période étudiée, son montant a été le suivant :
Début
d'amodiation |
Grains (en bichots) |
Espèces |
Cochons |
Chapon |
Cire (en livres) |
1662 | 15, moitié froment, moitié avoine | 2 |
8 |
||
1666 | 6, moitié blé,
moitié avoine |
40 L |
1 |
6 |
8 |
1677 |
16, moitié blé, moitié avoine | 40 L |
1 |
6 |
8 |
1689 |
22, moitié blé, moitié avoine | 67 L |
1 |
8 |
10 |
1695 |
16, 2/3 blé ou gru, 1/3
farine |
67 L | 1 |
8 |
10 |
1698 |
14 : 6 de blé ou gru, 8
avoine |
100L |
Elle peut être versée en 2 ou 4 termes annuels et doit être livrée dans les greniers ou châteaux seigneuriaux.
A la fin de son contrat (dont la reconduction n'allait pas de soi), le meunier devait rendre le moulin en bon état.
Une visite était alors pratiquée ; les réparations nécessaires étaient à la charge du meunier sortant, sauf celles concernant la structure du bâtiment qui revenaient au seigneur. L'épaisseur des meules était comparée à celle qu'elles avaient en début du contrat ; le surplus était payé au sortant, le déficit lui était taxé.
Le nouveau preneur était parfois tenu à effectuer certaines améliorations ou constructions.
Historique
De la fin de la guerre de 30 ans au début du 18ème siècle, les meuniers successifs du moulin de Delle ont été :
Amodiations |
|||
Début | Fin |
Meunier |
Cause de départ |
1662 |
Hanso PARROL (de Boncourt) |
||
1662 |
1665 |
Jean
RICHE |
|
1665 |
1675 |
||
1675 |
1676 |
? |
|
1676 |
1677 |
Antoine
RICHE (de Feldkirch) |
|
1677 |
1689 |
||
1689 |
1690 |
Jean Germain VERNER |
Défaut |
1690 |
1691 |
Tours JECKER |
Décès |
1691
|
1694 |
Barbe REICHET et Josef BAUR (de
Selzach [SO]) (veuve et gendre du précédent) |
Défaut |
1694 |
1695 |
Ulrich HOTTEMBERG |
|
1695 |
1698 |
Antoine RICHE | |
Emphytéoses |
|||
1698 |
1702 |
Maurice NOIRJEAN (de Lugney) |
Vente |
1702 |
Joseph PIQUIGNOT (de Noirmont) |
Dés 1666 (2nd contrat de Jean
RICHE), une longue liste de réparation est faite : "[il] doit
rétablir et mettre en bons états ledit moulin [...]
maçonnerie, charpenterie, murailles, couverture, planchers
dessus et dessous, fenêtres, vitres, vitrages, fours, fourneaux
et autres choses généralement..."
En janvier 1689, la situation a grandement empiré : Antoine RICHE alerte l'agent seigneurial (représentant en Alsace du duc de Mazarin-La Meilleraye) Mr ZIPPER :
En janvier 1689, la situation a grandement empiré : Antoine RICHE alerte l'agent seigneurial (représentant en Alsace du duc de Mazarin-La Meilleraye) Mr ZIPPER :
Le meunier signale qu'on aurait
intérêt à faire ces réparations avec "de
grands quartiers de pierre de roche" si on voulait "qu'elles durassent
un long temps", "comme on en voit l'expérience en d'autres
moulins du voisinage". Le dit ZIPPER juge cette alerte "bien à
propos" et "ordonne de faire venir des maçons pour visiter les
choses et faire marché avec eux".
Se présentent Joseph DI COMTE [DU COMTE] de St-Dizier, Jacob SUISSE et André PLAN de Boncourt. Il faudra au moins poser des "gros quartiers de pierre pour servir de banquette" et pour asseoir les 6 piliers. Peut-être aussi devront-ils aussi "creuser d'avantage les fondements".
Mais, en juin 1689, si on peut penser que les fondements ont été réparés, à la visite de fin de contrat, il reste de nombreuses réparations à faire : en dehors de l'écluse et du bief, qui seront réparés par le seigneur, la ribe est mal placée (plus haut), un rouet est à remplacer, un arbre est fendu, les planchers doivent être refaits, la charpente de l'écurie est mal conçue.
En 1690, Jean Germain VERNER abandonne son contrat (ce qui oblige ses cautions à le faire remplacer) ; à nouveau, en 1694, les successeurs de son remplaçant sont défaillants. A chaque nouveau contrat, on insiste sur le fait que le preneur doit effectuer les réparations sur le moulin et les écluses.
En 1697, la situation est alarmante ; les réparations nécessaires sont très nombreuses ; l'écluse n'a pas encore été reconstruite, le bief perd toujours de l'eau. On comprend que les travaux dépassent à présent les moyens des meuniers.
Grande nouveauté en 1698 : l'administration seigneuriale paraît toujours laisser la situation se dégrader (néanmoins le nouveau canal semble enfin construit), s'accrochant à un système qui manifestement ne fonctionne plus. Aussi, quand le meunier Maurice NOIRJEAN propose de sauver l'affaire en mettant le moulin en emphytéose (bail à perpétuité, à taux fixe, transmissible aux héritiers en ligne directe et cédable avec l'accord du propriétaire), il a gain de cause.
Il fait d'ailleurs un constat éloquent :
"... le moulin et ribe sont réduits en très pauvre état [tel que pour faire les réparations nécessaires] il conviendrait à fournir et avancer beaucoup d'argent du domaine (...) [les réparations des] bâtiments capitaux [n'ont pas été faites] par la négligence des meuniers précédents [mais ils étaient] à des prix si hauts qu'il leur était impossible de payer ce qui les obligeait de quitter et abandonner ledit moulin et ribe".
Il s'engage à effectuer les réparations nécessaires à ses frais (les bois lui étant néanmoins fournis).
Ce contrat constitue un changement important dans les pratiques seigneuriales, au point que c'est "très haute dame madame la duchesse" (pour son mari Paul Jules, duc de la Meilleraye et de Mazarin, petit-neveu du cardinal) elle-même qui le paraphe au château de Ferrette :
"charlotte felix armante de durfort duchesse de la melleraie"
Se présentent Joseph DI COMTE [DU COMTE] de St-Dizier, Jacob SUISSE et André PLAN de Boncourt. Il faudra au moins poser des "gros quartiers de pierre pour servir de banquette" et pour asseoir les 6 piliers. Peut-être aussi devront-ils aussi "creuser d'avantage les fondements".
Mais, en juin 1689, si on peut penser que les fondements ont été réparés, à la visite de fin de contrat, il reste de nombreuses réparations à faire : en dehors de l'écluse et du bief, qui seront réparés par le seigneur, la ribe est mal placée (plus haut), un rouet est à remplacer, un arbre est fendu, les planchers doivent être refaits, la charpente de l'écurie est mal conçue.
En 1690, Jean Germain VERNER abandonne son contrat (ce qui oblige ses cautions à le faire remplacer) ; à nouveau, en 1694, les successeurs de son remplaçant sont défaillants. A chaque nouveau contrat, on insiste sur le fait que le preneur doit effectuer les réparations sur le moulin et les écluses.
En 1697, la situation est alarmante ; les réparations nécessaires sont très nombreuses ; l'écluse n'a pas encore été reconstruite, le bief perd toujours de l'eau. On comprend que les travaux dépassent à présent les moyens des meuniers.
Grande nouveauté en 1698 : l'administration seigneuriale paraît toujours laisser la situation se dégrader (néanmoins le nouveau canal semble enfin construit), s'accrochant à un système qui manifestement ne fonctionne plus. Aussi, quand le meunier Maurice NOIRJEAN propose de sauver l'affaire en mettant le moulin en emphytéose (bail à perpétuité, à taux fixe, transmissible aux héritiers en ligne directe et cédable avec l'accord du propriétaire), il a gain de cause.
Il fait d'ailleurs un constat éloquent :
"... le moulin et ribe sont réduits en très pauvre état [tel que pour faire les réparations nécessaires] il conviendrait à fournir et avancer beaucoup d'argent du domaine (...) [les réparations des] bâtiments capitaux [n'ont pas été faites] par la négligence des meuniers précédents [mais ils étaient] à des prix si hauts qu'il leur était impossible de payer ce qui les obligeait de quitter et abandonner ledit moulin et ribe".
Il s'engage à effectuer les réparations nécessaires à ses frais (les bois lui étant néanmoins fournis).
Ce contrat constitue un changement important dans les pratiques seigneuriales, au point que c'est "très haute dame madame la duchesse" (pour son mari Paul Jules, duc de la Meilleraye et de Mazarin, petit-neveu du cardinal) elle-même qui le paraphe au château de Ferrette :
"charlotte felix armante de durfort duchesse de la melleraie"
Il semble que ce changement ait
été bénéfique, puisque Maurice NOIRJEAN
peut, 4 ans plus tard, vendre son emphytéose à un autre
meunier au prix de 933L 6s 8d, en paiement des
"améliorations" qu'il a effectuées.
(LISA s'efforcera d'étudier l'histoire des moulins de Delle au 18ème siècle... suite au prochain épisode !)
* les autres moulins concernés sont ceux de Rechésy et de St-Dizier.
(LISA s'efforcera d'étudier l'histoire des moulins de Delle au 18ème siècle... suite au prochain épisode !)
* les autres moulins concernés sont ceux de Rechésy et de St-Dizier.
Cet article est publié par LISA sous la seule responsabilité de son auteur.
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