Les Habsbourg en haute Alsace
Par LISA
Cet article est une présentation sommaire de l'institution appelée "Régence d'Ensisheim", qui a joué le rôle de puissance souveraine des institutions administratives de haute Alsace, et en particulier du secteur de Belfort, jusqu'à son entrée dans le royaume de France en 1648. Elle est largement inspirée de l'introduction aux archives de la Régence.
Il sera nécessaire d'aborder l'histoire de la famille Habsbourg, mais nous nous limiterons à l'essentiel, en nous appuyant sur un arbre généalogique simplifié des familles souveraines avant l'annexion française.
Nous faisons précéder cette présentation d'un éclairage sur un document présentant la situation précédent l'acquisition de l'essentiel de la haute Alsace par la famille de Habsbourg, lorsqu'elle possédait déjà des droits, de natures diverses, sur plusieurs villages de ce secteur, et sur la ville de Delle : l'urbaire de 1303.


1. Constitution des possessions de la famille Habsbourg en Haute Alsace

Les origines de ces possessions, qui remontent à l'époque carolingienne, sont très complexes, et incomplètement élucidées.
  • Dés l'an mil, les Habsbourg sont titulaires (entre autres) d'importants domaines en Haute-Alsace, dont Ensisheim et la région de la Harth.
  • Au début du XIIème siècle, ils entrent en possession de la charge de Landgraf (comte provincial) de Haute-Alsace (1186, Adalbert III), et des droits d'avouerie sur les fiefs de l'évêché de Strasbourg en Haute-Alsace, et surtout sur la puissante abbaye de Murbach. Ces droits d'avouerie augmentent leur importance politique et leur donnent l'occasion d'usurper certains biens de ces églises (1).
  • Une autre étape décisive sera l'accession au trône de Roi des Romains (titre équivalent à celui d'empereur non couronné par le pape) de Rodolphe IV de Habsbourg (1218-1291) - sous le titre de Rodolphe Ier -. Il s'empare des duchés d'Autriche, de Styrie et de Carinthie, qui deviendront ultérieurement la base de la puissance familiale. Il renonce à l'avouerie, mais conserve les biens acquis par ses prédécesseurs.
  • Albert/Albrecht Ier, fils du précédent, ne parviendra pas à lui succéder immédiatement dans la dignité de Roi des Romains. Les ambitions des Habsbourg à l'hégémonie sur l'Empire étant de plus en plus évidentes, elles entraînent la réaction des autres puissances, laïques ou religieuses. Albert dût attendre 1298 pour obtenir le titre de Roi des Romains, et il mourut assassiné en 1308.
  • Son fils Albert II nous intéresse particulièrement, puisque c'est lui qui épousa Jeanne de Ferrette en 1324. À cette occasion, il put réunir l'important héritage des Ferrette en Haute-Alsace aux possessions antérieures de sa famille (ci-dessous). Cette absorption sera complète en 1375 après l'éviction des dernières héritières du dernier comte de Ferrette (1).

Albert II, duc d'Autriche, Wikimedia commons Jeanne de Ferrette, Wikimedia commons

Ces possessions confèrent aux Habsbourg le rôle de puissance souveraine et nécessitent bien évidemment la mise en place d'une administration solide.

Dans l'esprit du Saint-Empire, vu la dispersion de ces possessions, et la répartition des honneurs aux différentes branches de la famille, cette administration sera moins centralisée, et, même si elle a su se moderniser, elle se révélera moins solide que celle qui se met en place dans le royaume de France, qui parviendra à s'étendre à son détriment, à l'occasion des guerres des XVIème et XVIIème siècle.

2. L'urbaire de 1303 et l'héritage des comtes de Ferrette

  1. L'urbaire de 1303
    En 1303, avant donc l'incorporation des terres de Ferrette, ce précieux document décrit en détail les biens des Habsbourg. Ils sont essentiellement situés en Suisse et sur la rive nord du Rhin (centrés sur leurs terres patrimoniales du canton d'Argovie), ainsi que dans la plaine d'Alsace, entre l'Ill et le Rhin, sans oublier le bailliage de Delle (Amt Dattenriet).
    Cet urbaire (2) a été constitué à la requête d'Albert I, dans une perspective de rationalisation de la seigneurie territoriale. Les rôles préparatoires enregistrèrent les déclarations détaillées, sous serment, des contribuables et les renseignements fournis par les baillis.
    Les données furent ensuite unifiées et mises au net, peut-être en partie par Burkhard von Frick, chef de l'administration financière, dans des rouleaux dont on tira un volume appelé "Reinschrift" (1330).
    Ce Reinschrift est accessible et téléchargeable ici : Habsburger Urbar - Donaueschingen 691.

    Cet urbaire a fait l'objet de nombreuses études et exégèses, dont, en 1850, une transcription commentée, par Franz Pfeiffer : Das habsburg.-oesterreichische Urbarbuch ; herausgegeben von Franz Pfeiffer.
    L'ouvrage Quellen zur Schweizer Geschichte (Sources de l'histoire Suisse, 1894-1904) étudie évidemment en détail cette source. Les nombreux tomes de cet ouvrage sont disponibles en ligne.
    L'urbaire Habsbourg est transcrit et commenté dans les tomes 14, 15-1 et 15-2; ce dernier tome est accompagné de cartes précises reconstituant les possessions en Suisse, Allemagne, Autriche et Alsace. Malheureusement, ces cartes sont mal reproduites sur le site archive.org.
    Dans le tome 14, la description des biens dans le bailliage de Delle - amt Dattenriet - est transcrite dans les pages 31 à 41 (46 à 56 de la version numérisée).

    Ce document fait apparaître les villages suivants :
    original Reinschrift (si différent) actuel droits remarques
    Bölle Zölle Bourogne moulin, justices h & b mairie
    Bubendorf Boncourt
    Bursche Bure (JU) collation
    Bysol Bisel (68)
    Dattenriet Delle dîmes, collation, moulin bailliage ; droits seigneuriaux sur les personnes -non libres- et les biens
    Geysenberg Geysemberg Chèvremont dîmes
    Guntscherach Guntschera Joncherey
    Heinmerstorf Hemmerstorf Heimersdorf (68) droits seigneuriaux sur les personnes -non libres- et les biens
    Herbestorf Herbistorf Courtelevant quart des dîmes
    Hirsungen Hirsingue (68) droits seigneuriaux sur les personnes -non libres- et les biens
    Krutz Krutze Croix collation
    Kurzel Kurzal Courcelles 1/4 des justices
    Largitz Largitzen (68)
    Lieptal Lieptan Lebetain
    Munpetun ou Munpeton Monpaton ou Monbotton Montbouton collation
    Nidersepte Seppois-le-Bas justices la mairie de Seppois (Sept) regroupe Seppois-le-Bas, Rechésy, Bisel, Largitzen et Pleigne
    Orenzach Örenza Erzach village disparu, situé entre Koestlach et Moernach
    Plene ou Blent Pleine ou Blennc Pleigne (JU) justices
    Röschliz Roschelins Rechésy
    Rüderbach Ruederbach (68) droits seigneuriaux sur les personnes -non libres- et les biens
    Sant Sthörgien ou Sant Sthörgen Sant Stergun Saint-Dizier 1/3 des justices mairie
    Sant Susannen Sant Zosannun Sainte-Suzanne (25) collation
    Schert Essert collation, justices, moulins
    Thecort Tethert Thiancourt
    Thomarkilch Domarkilchen Dannemarie (68) justices h & b souveraineté comtale sur les hommes libres
    Uberstraz Uberstraze Ueberstrass (68) justices
    Vaveresch Faverest ou Walerest Faverois
    Viler Vilar Villars-le-Sec
    Vitz Virscht Fêche-l'Église

    D'après ces données, nous avons reconstitué la carte suivante, mentionnant uniquement les villes et villages cités (le tracé noir représente les limites administratives actuelles)



  2. Héritage des comtes de Ferrette
    Les fiefs ci-dessus ne représentent qu'une partie de ce qui constituera ultérieurement les possessions des Habsbourg en Haute-Alsace.
    Les familles de Ferrette et de Montbéliard avaient en effet acquis la majorité des fiefs et des droits sur ce territoire.
    Les Habsbourg réuniront ainsi le comté de Ferrette avec les villes de Thann et d'Altkirch, la seigneurie de Rougemont, puis la seigneurie de Belfort, qui leur sera définitivement acquise en 1375.

    Deux personnages, ne disposant "que" du titre de duc d'Autriche, sont à distinguer sur cet arbre :
    - Albert/Albrecht II, qui, en épousant Jeanne de Ferrette, est à l'origine du gouvernement autrichien de la haute-Alsace,
    - moins connu, mais plus important encore pour la dynastie Habsbourg, Ernst, le "duc de Fer" (1377-1424), 1er Habsbourg à accéder au titre d'archiduc, qui réunit la totalité des possessions de sa famille ; son fils Frédéric devint le 1er des empereurs Habsbourg, et sa lignée conservera ce titre jusqu'en 1918.

3. Le gouvernement de la Haute-Alsace

Au début, les possessions Habsbourg étaient administrées par des baillis, sous l'autorité d'un grand-bailli.

En 1350 est instauré le titre de Landvogt ; il s'agit d'un noble, représentant du duc dans ses territoires rhénans (1). Avec un groupe de conseillers, il exerce les pouvoirs administratifs, judiciaires, et bientôt financiers.

À partir du XIVè siècle, les possessions des Habsbourg seront souvent divisées entre plusieurs branches. Des lignées archiducales se succéderont ainsi à la tête de l'Autriche antérieure, dont la Haute-Alsace (noms en italique dans l'arbre ci-dessus).

De 1411 à 1426, Catherine de Bourgogne, fille de Philippe le Hardi, veuve du duc Léopold IV, réside en Haute-Alsace et prend fermement en main son administration, mais avec un désir manifeste d'attirer la province vers la Bourgogne.

Suite à cet épisode, sous l'administration de Friedrich IV, les institutions autrichiennes renforcent leur structure et se fixent définitivement à Ensisheim. Une certaine "démocratie" est instaurée par la créations des "États", représentant respectivement les prélats, les nobles et les villes et communautés. Lors des diètes, ces représentants votent les impôts extraordinaires et discutent les décisions concernant la province (1).

En 1510, le deuxième empereur Habsbourg, Maximilien Ier, renforce encore l'administration de la province, dote le Regiment (en français régence) d'un règlement, place à sa tête un grand-bailli assisté d'une hiérarchie administrative solide.

Ferdinand Ier centralise l'administration des provinces autour de la régence d'Innsbruck, dont celle d'Ensisheim est dépendante.

Son petit-fils Ferdinand II, en charge des Pays antérieurs, crée, parallèlement à la Régence d'Ensisheim une Chambre en charge des possessions domaniales et de la tutelle sur les comptes des administrateurs locaux. Cette structure perdura jusqu'en 1638, lorsque la Haute-Alsace autrichienne fut envahie par les troupes suédoises puis françaises.
Voir l'article Léopold de Habsbourg, régent d'Autriche antérieure

4. Fin de l'Alsace autrichiennne et histoire des archives de la Régence

Les archives étaient conservées au château d'Ensisheim.

Dés 1622, avec l'arrivée des troupes suédoises, les officiers quittent la ville. Ils emportent une partie des documents, mais beaucoup seront perdus.
Les documents sont rassemblés à Belfort jusqu'en 1632, puis stockés en l'abbaye de Lure.
La régence finira par se replier à Brisach, qui est prise en 1638.

La capitulation des troupes autrichiennes stipule que tous les documents concernant la Haute-Alsace seront remis à la France. Ils seront transférés à Strasbourg, analysés et classés.

Ultérieurement, une partie des fonds repartira en Autriche, alors que d'autres seront rapatriés d'Innsbruck par le commissaire Kau en 1756-1763.

Comme beaucoup d'archives anciennes, ces fonds connaîtront des vicissitudes diverses. Les fonds déposés à Colmar seront analysés par un conservateur des AD du Haut-Rhin de 1966 à 1978, ce qui explique la qualité du répertoire où nous avons puisé nos informations.

5. Contenu et intérêt des archives de la Régence

Le document de présentation (1) insiste opportunément sur le fait que ces archives ne contiennent pas de "documents donnant des décisions définitives : l'avis de la Régence ou de la Chambre d'Ensisheim est sollicité, mais c'est l'institution d'Innsbruck qui tranche".

Néanmoins, ces pièces constituent des sources de première importance sur "tous les aspects de la vie sociale, religieuse, économique, politique ou artistique" (1).

Pour l'amateur, évidemment, cet intérêt est limité par la difficulté de leur accès, vu d'une part l'obstacle que constitue pour la plupart la lecture de l'allemand ancien, sans parler du fait qu'elles n'ont pas actuellement été entièrement numérisées.
Saluons à ce propos le projet transnational Archivum Rhenanum qui a mis en ligne (juillet 2019) une partie de ces archives.
Par exemple, on trouvera ici un document de 1532-1543 concernant Châtenois, Nommay et Villars-le-Sec.

Nous avons extrait du répertoire de ces archives les pièces relatives au Territoire-de-Belfort : Quelques pièces, transcrites par R. Billerey, et ont fait l'objet d'articles :

RÉFÉRENCES


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