Affaires de sorcellerie
illustration du Compendium Maleficarum de F. M. Guazzo, 1608 Wikipedia Commons
Par R. Billerey
Archive : AD68 1C 5122
La seconde affaire est particulièrement documentée, avec des témoignages à charge des villageois. Il est à craindre que l'accusée ait connu un sort tragique...


1. 14 décembre 1611




Pierre Reis de Morlingen(1) supplie la Régence
de faire payer les dommages et intérêts
et frais de pensemens a sa femme qui
auoit mal a propos été appliquée a la gêne
par trois fois, étant injustement accusée de
sorcellerie ; et lad Régence ayant demandée
l'avis des Officiers de Befort, ils envoyent
copie d'un avis de gens gradué sur le cas
pour prouver que lad femme n'étoit
point innocente ; cet avis est en françois.
1611.

2. 4 janvier 1612



Passant à l'information dressée contre Evatte,
femme de Perrin Jean, on la recongnoit par la
vision d'icelle, encoure beaucoup plus acculpée
que la précédante.

En premier lieu, elle se treuve grandement diffamée
d'estre genaulche(2) selon que le dient les seize tesmoings
examinés contre elle, et de telle diffamation résulte
contre elle un fort grand indice.

Secondement les tier et sixieme tesmoins (qui sont
le pere et le filz) se conforment en ce que l'an
1608 sur une querelle prinse en un vergier par le
pere contre led Perrin, dont le filz se mesla, lad
Evatte ÿ survint, laquelle et son marÿ aÿant usé
de quelques menaces, grand nombre de bestiaux
seroient mortz à iceulx tesmoings.

Les sept et huictieme tesmoings s'accordent en ce
que lad Evatte leur aÿant reproché que leurs
vaches estoient plus belles que les siennes (qu'est
une obiection aÿant apparence d'envie), l'une d'elles
devint tost après malade, laquelle estant visitée
par certainne femme jugea qu'elle auoit ung
mal donné.

Les dix, unze et douzieme tesmoings sont uniformes
en leurs dépositions, scauoir que lad Evatte
alla querir en leur logis a certain jour de diemenche lors
que l'on estoit à l'église, de la saulge en leur jardin,
bien qu'elle en eut au sien, et fut en leur maison, et que
le mesme soir trois cheuaulx qu'ils auoient auparavant
en bonne disposition deviendrent malades, dont la mesme
nuictée l'un mourut, et deux jours après moururent
les aultres.


L'on remarque plusieurs aultres notables indices, de
dépositions des aultres tesmoings, dont le premier
dict que lad Evatte, aÿant empoingné ung poulain
nouvellement né et sain, il tomba aussÿ tost par terre,
sans se pouuoir plus soustenir.

Le second que s'estant formalisé contre lad Evatte
pource qu'elle luÿ donnoit peu de fromaige trauallant
pour elle, devint tost après malade.

Le troisième oultre ce que dessus, dict qu'après auoir
mangé d'un bugnot(3) que lad Evatte luÿ porta en ung
prel a son repas, et saulpouldra illec, il devint
incontinent fort malade, et le faillut remmener a la
maison sur un chariot.

Le quatrième dict que son pere aÿant heu une querelle
contre lesd Perrin et Evatte pour la cloison d'ung vergier,
ilz le menacerent de s'en repentir, dont peu de jours
après fut malade Claude, filz d'iceluÿ, et quelque temps du
depuis le pere mesme, lesquelx à leur décès declarerent
que leur mort estoit causée par le debat ou proces heu aud
vergier auec lesd Perrin et Evatte, et se jacta(4) depuis led
Perrin en plain communal d'auoir bien dict aud pere quil
s'en repentiroit, et quil luÿ coustoit plus cher qu'à luÿ.

Le cinquième dict qu'estant gisante de son premier enffant,
laditte Evatte estant venue veoir iceluÿ, et aÿant leué
le couuertoir en disant ha le bel enffant, la mere perdit
son laict et l'enffant aÿant beaucoup enduré mourut
trois jours après.

Le neufzieme dit qu'aÿant demandé ung paÿement a lad Evatte
il deuint malade le mesme jour et dura sa maladie
six sepmainnes.

Le treisieme racompte d'auoir veu lad Evatte dansant
seule en ung prel qui sapperceuant de luÿ, entra en ung
buisson, ou elle fut perdue de veue.
Le quatorzieme dit que retournant de certaine procession elle
treuva lad Evatte en leur estable (ou elle n'auoit rien
a faire) estant proche de deux genisses, quelle dit a iceluÿ
tesmoing (l'interrogant qu'elle queroit) estre belles,
et comme cestoit ung jour de vendredÿ, le diemenche
suÿuant elles moururent retournant des champs.

Tous lesquelz indices et faictz sont notables, et ont
de la verisimilitude, attendu quilz sont accompaignés
de circonstances et causes precedentes, comme
attouchementz, querelles, menaces etc, et quand telles
causes precedent et que l'effect s'ensuÿt la preuue
est tresgrande ; Clar.d.§.fin quest.21.num.37.menoch.d.
quest.59.num.60.Binffeld.ubi.5.Indic.4 debrio disgnis.
magic.lib.5.secc.3.(5)

Voila pourquoÿ il nous semble que si lesd tesmoings
examinés en lad information par le recours persistent
en leurs depositions, et estant confrontés a lad
Evatte, ilz luÿ maintiennent ce qu'ilz ont dit et deposé
contre elle, estre veritable, et de plus si estant visitee
elle se treuue marquee d'une marque de sorcier
insensible et sans rendre sang, que l'on la doibt juger
a la mort, que l'on pratique contre les sorciers,
quest de l'attacher a un pouteau pour ÿ estre estranglee,
plus son corps estre brusle et reduit en cendre, et de plus
la condamner aux despens faictz en sa procedure
.

NOTES

1 Morlingen = Meroux
2 genaulche, genaiche, geneschière, genoche : sorcière, dans le français de l'est de la France.
3 bugnot : beignet
4 se jacter : se vanter
5 références de jurisprudence, ou renvois à des manuels d'instructions pour les enquêtes

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