
Gallica
Le contexte de l'archive dépouillée ci-dessous est la "Troisième Guerre de Religion".
Cette guerre se déroule en France de 1568 à 1570 sous le règne de Charles IX.
Mais les événements dont il est question dans cette archive touchent le secteur de Belfort (et d'autres régions de la France actuelle) par un phénomène d'internationalisation des conflits entre les catholiques (au pouvoir en France et dans le St-Empire) et les protestants, dont les chefs sont les dynastes de certaines principautés allemandes.
Le St-Empire est déchiré entre les princes protestants et les princes catholiques ; parmi les premiers, Wolfgang de Bavière, duc de Deux-Ponts (Zweibrücken) (1526-1569).
La France également est en pleine crise : les rois sont jeunes et manquent d'autorité depuis 20 ans et le pouvoir est disputé par la reine-mère (Catherine de Médicis) et quelques clans nobiliaires : les Guise pour les catholiques, les Montmorency puis les Bourbons pour les protestants.
En 1569 plus précisément, le chef du parti protestant est Gaspard II de Coligny (du clan Montmorency) ; de sanglantes batailles
se déroulent dans l'ouest de la France entre les deux armées, offrant des victoires à chaque camp.
C'est alors que le duc Wolfgang de Deux-Ponts lance ses troupes de mercenaires dans une audacieuse expédition pour soutenir son coréligionnaire
Coligny, à travers la Bourgogne (Franche-Comté) et le centre de la France.
Cette traversée permet aux protestants allemands de rejoindre Coligny à Châlus (Haute-Vienne) en juin ; cette jonction se fera toutefois
sans leur chef, mort de maladie à Nexon le 11.
Le 25, les protestants mettent en déroute l'armée française (catholique) commandée par le duc d'Anjou (futur Henry III) à la Roche-l'Abeille (Haute-Vienne).
Au cours de leur traversée, les mercenaires à la solde de Wolfgang ne manqueront pas de faire des dégats divers, plus ou moins graves : pillages, destructions d'églises et d'abbayes.
Les villageois de notre secteur, qui mérite une fois encore son surnom de "Porte de Bourgogne", eurent leur lot en janvier et février.
Quelques mois après ces exactions (le 13 mai), les autorités autrichiennes diligentent une enquête dans les villages pour estimer les dommages
subis par les particuliers.
Voici ci-dessous un extrait du compte-rendu de cette "enquête globale et nominative, par village", présentant un état détaillé des
"dommages causés par le passage des troupes du duc Wolfgang de Deux-Ponts en janvier et février 1569 dans le baillage de Belfort,
la Grande Mairie de l’Assise et les seigneuries du Rosemont et d’Angeot" ( AD 68, 1 C 2095).
Nous sommes ici dans le village de Chèvremont (Geisenberg en allemand) :
Die herrschafft Assise Uff freÿtag denn 13n ermellts maÿ habenn wir wuns der langmeÿer inn der assisse wund ich gonn Geissenberg werfuegt alle underthannenn desselbigen meÿerthumbs beschickht und fur wunβ kommen lassen wund als sÿ wor wunβ erschinen seindt habenn wir inen E. g. befelch erdecke wund grungsamlich an- zeigt. Demnach was einem jedem fur schadenn be- schehenn werhordt wund befragt. Die habenn gesagt wie harnoch wolgt. |
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La
seigneurie d'Assise Le vendredi 13 dudit mois de mai, nous grand maire de l'Assise, et moi-même , nous nous sommes transportés à Chèvremont et avons envoyé à tous les sujets de ladite mairie l'ordre de venir vers nous et lorsqu'ils se sont présentés à nous, nous leur avons expliqué et soigneusement montré les ordres de nos seigneurs. Après quoi nous leur avons demandé quels dommages chacun avait subis. Ils ont répondu comme suit. |
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Examinierung der Underthannenn der assise |
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Enquête auprès des sujets de l'Assise |
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Jacob Ruesche wonn
fontenelle sagt bÿ seinem eidt die frannzossenn habenn ime im durchziehenn zwen hengstenn entwerdt die schezt er 25 kronnen wert sein |
50 # |
Jacques Rouèche de
Fontenelle déclare sous serment que lors de leur passage, les Français lui ont volé deux étalons, qu'il estime valoir 25 écus |
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Item mehr habenn ime die frannzossenn an speckh hienner eÿer anckhen kaeβ genomen alles schezt er zu gellt |
6 # |
De plus, les Français lui ont pris en lard, poules, œufs, beurre, fromage, pour une valeur totale de |
aber die schwarz reutter enntwert wier gemassten rinder die er nicht umb hundert Pfundt geben |
100 # |
mais les cavaliers noirs lui ont pris quatre bovins qu'ils ont tués, et qu'il n'aurait pas donnés pour |
Item mehr als sÿ uff fueterung won Bischigen gonn fondenelle komen funff wund wierzig wier- theil haber entwerdt dz fiertheil P. 15 s. thut zu gellt |
33 # 15 s |
De plus, quand ils vinrent de Bessoncourt pour
fourrager à Fontenelle, ils ont volé quarante cinq quartes d'avoine, à 15 sols la quarte, ce qui fait en argent |
Item mer haben ermellte Schwarzreutter ime wier trog zerschlagen alles leunwat kiβziech rockhen hossen wund was inen gefallen entwert und gon Bischingen gefuert dz alles schezt er zu gellt |
25 # |
De plus, lesdits cavaliers noirs lui ont fracturé
quatre coffres, ont volé tous les tissus, couvertures, robes, chausses et tout ce qui leur plaisait, et l'ont emporté à Bessoncourt, ce qu'il évalue en tout à |
Item mehr haben sÿ ime ein wagen ein beschlagen karren
4 komenden 1 ritsattel 1 karrenkiβ 12 neuwer roβeissen sampt allerleÿ eissen zug sampt anderen essenden speiβ genomenn uns entwerdt des alles schezt er uff wenigst zu gellt |
20 # |
De plus ils lui ont pris et volé un chariot, un char
ferré, 4 ? (harnais ?), 1 selle, 1 coussin (?), 12 fers à chevaux
neufs, avec différents outils en fer et d'autres denrées alimentaires, tout ce qu'il estime valoir au moins en argent |
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Latet |
234 # 15 s. |
A reporter |
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f° 24 v° |
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Weitter sagt ermellter Jacob Ruesche gemellte Reutter habenn innenn etliche maln uβgezogen hin wund wider uff seinenn kleidernn gesucht ob sÿ gelt fundenn konnenn Ime di faüstlin fur dz herz ge- setzt er soll inenn gelt gebenn oder sÿ wärdenn inenn erschissenn grausamlich tiranisch und rauberlich mit im gehandelt, des zu erbaren hatt innenn ein sackell gebenn darnien nur acht rappenn gewessenn |
1 s. 8 d. |
Ledit Jacques Rouèche déclare ensuite que lesdits
cavaliers l'ont dépouillé à plusieurs reprises de ses vêtements, et ont cherché s'ils pouvaient trouver de l'argent, ils lui ont mis un pistolet sur la poitrine : il devait leur donner de l'argent, ou bien ils le tueraient, et le traiteraient de manière cruelle, atroce et criminelle ; pour les apitoyer, il leur a remis une bourse dans laquelle il n'y avait que 8 rappen |
Mehr habenn sÿ ime ein deschenn genomen es ist aber nichzit darin gewessen …………………….. |
8 s. |
De plus ils lui ont pris une besace (?) mais il n'y avait rien dedans |
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Claudat Noblat wonn
Geissennberg sagt bÿ seinem eidt als die frannzossenn zu geissenberg ubernacht gelegen habenn ime fur essendenn speiβ als huener speckh brodt wein salz heuw haber wund dergleichen wol fur zwelff Pfund schaden zugefuegt |
12 # |
Claude Noblat de
Chèvremont déclare sous serment que lorsque les Français vinrent passer la nuit à Chèvremont, ils lui ont causé en nourriture, tant poules, lard, pain, vin, sel, foin, avoine, qu'autres denrées, des dégâts d'au moins douze livres |
Item mehr habenn dise frannzossenn im entwert 1 stuet roβ zu gellt estimiert |
24 # |
De même ces Français lui ont volé une pouliche estimée en valeur à |
Aber die schwarzreutter sindt irenn etlich ein nacht im seinem hauβ gelegen im fur allerleÿ essendenn speiβ als brott wein kaeβ speckh huenner haber so sÿ verbringt allerleÿ huβrathen entwert wuud mit innen hinweg gefiert fur solchen zugefuegtenn schadenn schezt er uff |
30 # |
Mais les cavaliers noirs sont venus nombreux cantonner une nuit dans sa maison et lui ont pris différentes denrées, comme du pain, du vin, du fromage, du lard, des poules, de l'avoine, qu'ils ont consommées, et volé différents ustensiles qu'ils ont emportés avec eux ; pour ces dommages qu'il a subis, il les estime à |
Mehr habenn ime die reutter die zu Bischingenn gelegenn als sÿ wonn Bischingen mit etlichenn wagen gonn geissenberg komen sein hauβ geblindert ent- werdt 20 sester haber 24 sester dinckel 12 sester gerstenn funff groβ trog sampt zweÿenn tröglin zerschlagen, alles was darinen ann leuwat klei- dern kleinot huβrathen mit einem dreÿ jarig hengst, alles zu gellt angeschlagen uff ringist |
44 # |
De plus, les cavaliers qui cantonnaient à Bessoncourt, lorsqu'ils sont venus de Bessoncourt à Chèvremont avec de nombreuses charrettes, ont pillé sa maison et lui ont volé 20 setiers d'avoine, 24 setiers d'épeautre, 12 setiers de blé, ont fracturé cinq gros coffres et deux petits et pris tout ce qui s'y trouvait : toiles, vêtements, objets précieux et mobiliers, avec un cheval de trois ans, l'ensemble estimé valoir environ |
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Latet |
110 # 9 s. 8 d. |
à reporter |
Traduction de Robert Billerey |
Dans ces relations, il apparait que deux armées au moins ont séjourné dans la région : les "Français" et les "cavaliers noirs".
Il est certain que les "cavaliers noirs" sont les mercenaires de Wolfgang.
Article Wikipedia
Les reîtres (de l'allemand Reiter, littéralement « cavalier ») sont une cavalerie lourde d'origine germanique apparue dans les années 1540. Ce type de cavalerie apparut à la suite de l'invention du pistolet à rouet qui permettait le tir en selle et l'abandon de la lance. Un reître était armé d'au moins une paire de pistolets, d'une épée et d'une dague. Ils portaient fréquemment des armures noircies, leurs chevaux ne portaient pas de bardes afin de faciliter leurs mouvements. Les reîtres comme les lansquenets furent largement utilisés en France durant les guerres de religion par les deux partis. ... Leur réputation tant de qualité que de férocité leur valut en France, durant les troubles religieux, les sobriquets de « cavaliers noirs » ou « cavaliers du diable ». « Le comte de Vulfenfourt fut obligé de fuir comme les autres, quoiqu'il eût bien promis à l'Empereur de passer sur le ventre à la gendarmerie française avec deux mille reîtres qu'il commandait, et qui pour paraître plus méchants s'étaient horriblement noircis le visage. » — Jean-Baptiste Henri du Trousset de Valincour, La vie de François de Lorraine, Duc de Guise |
![]() Reître allemand dans le style de 1577 |
Pour les "Français" en revanche, rien dans le texte ne nous permet de savoir s'il s'agit de troupes catholiques ("légitimistes"), qui auraient combattu les allemands, ou protestantes, qui les auraient accompagnées.
Les autorités en charge de l'enquète ("nous") sont Jean Chanterelle, grand maire de l'Assise de 1566 à 1574, et probablement le tabellion du comté Jean Haye le jeune, qui a succédé au précédent en 1566.
On aimerait évidemment savoir si les plaignants ont été indemnisés, sur quelle base, et qui a réglé la facture. On imagine difficilement l'empereur Maximilien, alors que le comté de Belfort vient d'être dégagé au prix d'un gros effort financier, rembourser les dégats provoqués par des troupes adverses (même si son hostilité au protestantisme est moins forte que celle de son père Ferdinand).
Cet article est publié par LISA sous la seule responsabilité de son auteur.