
L'acte est assez complexe, car il se divise en plusieurs sections, correspondant à 4 dates différentes :
- Après une introduction présentant les parties présentes lors de la passation de l'acte de 1572 (habitants de la communauté de Rechotte et Jean Henry de Reinach, leur seigneur), le texte incorpore la transcription d'un dénombrement et reconnaissance des droitures fait le 23 avril 1554.
Cette section s'étend du haut de la page 2 à la fin de la page 3. - Vient ensuite, à partir de la dernière ligne de la page 3, une section reprenant un acte du 12 avril 1563, destiné à préciser les modalités du versement d'une redevance de l'acte de 1554.
- Le corpus de l'acte du 20 mars 1572 proprement dit débute au bas de la page 4, et exprime, sous forme d'un accord, l'abandon par le seigneur de certains de ses droits sur ses sujets de Rechotte, prétendument à leur demande, en l'échange d'une contribution globale et fixe, en argent et en grains.
- Chronologiquement enfin, en marge de la 1ère page, une mention du 14 mai 1575 remet en question la valeur des actes précédents et maintient le doute sur la condition (servile ou libre) des habitants de Rechotte avant 1572. Elle est par contre très éclairante sur les rapports d'autorité en cette fin du XVIe siècle.
(Voir ici notre transcription complète)
- 1. Présentation des parties (1572)
- 2. Rappel de l'acte de 1554
- 3. Précisions sur les modalités de versement des redevances, en 1563
- 4. Affranchissement des sujets et évolution de la mainmise seigneuriale (1572)
- 5. La mention marginale de 1575
- 5-1. Transcription
- 5-2. Contestation du statut juridique
- 5-3. Conclusion
- 6. Évolution de la domination féodale
- 7. Transcription complète
- Notes
L'intitulation de l'acte détaille les parties en présence en 1572, lors de la rédaction de l'acte.
Ce sont :
etc. d'unepart, Jehan Fucß, Guyot Scernet, Jehan Bourcardey, Nicolas
Cernet, Estienne Belat, Claude Magrey & Jehan Grozdener de Rechoutte
faisans la majeur & plus sainne partie de lad. communaulté
(...)
Lesquelles parties ont faict, traicté, consenti, accordé et transigé
reciprocquement les pactz & conventions que s'ensuyvent ass[avoir]
Que comme aud. sgr. tant à cause de messgrs. ses prédecesseurs
que aultrement justement & dehuement competent & appartiennent
plusieurs droitz s[eigneur]iaux sur tous les tenementiers des terres situées
es fin finaige & territoire d'illecques
(...)
le tout comme plus au
plain est contenu, speciffié & declairé en certain denombrement
& recongnoissance desd. droictures faicte par lesd. bourgeois et
habitans dud. Rechouttes au proufit dud. sgr. le vingtcingme.
d'apvril mil cinq cens cinquante & quatre stil de Basle
et receue et signée par messire Jacques Lobelz vicaire de Novillers
et François Bobance de Bessoncourt, notaires, dont la teneur
s'ensuyt de motz à aultres.
Jean Henry de Reinach (7), seigneur de Roppe, est un ancêtre de la branche familiale qui se partagea les seigneuries de Foussemagne et Montreux après l'extinction de la branche de Reinach-Montreux en 1705. Il est également seigneur d'Amoncourt (70015).
S'ensuit donc de motz à autres (mot à mot) la copie de l'acte de 1554 :
et Jehan son filz, Thiebauld Rosset, Jehan Peletier, Blaise Chantenon
& Guyot Semet bourgeois mannans & résidans au lieu dud.
Rechottes
(...)
de recongnoistre &
declairer à Noble sgr. Monsgr. Jehan Henry de Rynach seigneur
d'Amoncourt & de Roppes en partie etc. aussy pnt. acceptant pour
luy & pour ses hoirs les choses poinctz & articles cy après suygans,
faict aud. Novillars en la maison d'hon. homme Claude Jehan
Perrin mayre aud. lieu le vingtcinquieme jour d'apvril stil de Basle
l'an nre. sgr. courant mil cinq cens cinquante & quatre.
Les 10 articles contenus dans ce dénombrement et reconnaissance des droictures (1) du 25 avril 1554 :
Cette partie est particulièrement intéressante car elle éclaire la condition des habitants de cette communauté, du moins (et on le verra dans la dernière partie) telle que le prétend le seigneur :
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(...) Et premierement ont recongneu lesd. déclairans que tout & tant
ce qu'ilz ont & tiennent d'heritaige gysant au maigny dud. Rechottes & deans les quatres cors & territoires dicelluy tant en champs, prelz, oiches, chesaulx, curtilz, terres aribles & non aribles que tous aultres heritaiges soient tant aud. Rechottes de la paroisse dud. Novillers qu'aultrepart quilz le tieignent & est du propre & vray heritaige dud. Sr. Jehan henry etc. et sont tousjours tenu lesd. declairans dud. Sgr. & ses antecesseurs jusques au pnt. |
1) Principe fondamental de la féodalité : l'abandon au seigneur de toute propriété directe (aleu). Dans le cas de biens nobles, l'ancien aleutier reçoit en retour ses biens sous forme de fief "relevant" du seigneur supérieur. Dans celui de biens non nobles, le sujet conserve le droit d'exploiter ses terres, mais devient censitaire du seigneur (il lui verse un(e) cens(e)). Ici on voit que les habitants (ténementiers : qui tiennent leur terre du seigneur, tenanciers) doivent reconnaître que les biens ont de tous temps relevé du seigneur. Ils auraient de toutes manières du mal à prouver le contraire ! |
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Secondement que toutes les fois que ung deulx est trespassé de
ce ciecle sans delaisser leaulx hoirs nalturelz & engendrez de son propres corps & de loyaulx marriage que en ce cas tout les heritaiges quil tient aud. lieu sont tantost & expressement escheuz aud. Sgr. ou a ses hoirs sans reclamation daultruy. |
2) Cette disposition est la marque la plus notable de la mainmorte : les biens mainmortables ne peuvent faire l'objet d'un testament : après la mort sans enfant d'un "ténementier", ses biens vont intégralement au seigneur. |
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Pour le troisieme article que toutes les foys que le principal
de lhostel de lung desd. terriers est mort ayant leaulx hoirs de son corps, doibvent venir reprendre l'heritaige delaissé par led. deffunct deans ung an & ung jour mais led. sgr., ses hoirs, lieute[nants], officiers ayans certains commandement d'eulx, et reprendre led. heritaige par le plus prouchain heritier delaissé par led. deffunct en payant aud. sgr. pour la reprinse austant que led. tenementier doibt de sa premiere cense soit en argent ou en graines. |
3) Si le chef de famille ("principal de l'hostel") décède et qu'il a des enfants pour lui succéder, le droit de succession se monte à une annuité de la cense, en espèces ou en nature. |
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Au quatreme article, qu'ilz ne peuvent ny ne doibvent prester à
aultruy sans la voulunté dud. sgr. & ses hoirs et s'il faisait au contre, fut en tout ou en partie led. prest, seroit escheu aud. sgr. et sesd. hoirs. |
4) Tout bien faisant l'objet d'un prêt échoit de droit au seigneur. |
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Item au cinquieme article que si vendent ou alienent aulcune
chose desd. heritaiges qu'ils le doibvent faire par lodz dud. Sgr. ou sinon ne le faisait seroit escheuz led. bien aud. Sgr. et sesd. hoirs. |
5) Si le droit de mutation n'est pas payé, le bien échoit au seigneur ; "lods & ventes" sont la redevance qu'un seigneur censier a droit de prendre sur la vente d'un bien étant en sa censive, pour autant qu'il accepte cette vente. |
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Item pour le sixieme article si lesd. tenementiers requeroient
aud. Sgr. sesd. hoirs de consentir en vendaige prestz ou en eschanges et qu'il plaise aud. qu'il en doibe estre privilegiez de l'avoir devant tous aultres pour douze deniers moings que ung aultre ne vouldroit donner sans frauldz ny sans abuz et si led. Sgr. ne le vouloit point pour luy ou pour ses hoirs qu'il debvoit ouctroyer le marchelz sa[ulfz] touttefois [en réserver ?] le p[ré]judice de lui & de ses hrs. |
6) Une vente doit être autorisée par le seigneur. Celui-ci peut acquérir le bien s'il en propose au minimum 12 deniers de moins que le meilleur prix proposé. On précise néanmoins que cela se faire sans fraude ni abus. La dernière phrase est moins claire ; il semble que le seigneur pourrait, après la vente, exercer un droit de retrait. |
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Au septieme article dyent lesd. tenementiers qu'ils peuvent vendre
leurs heritaiges à cui qu'il leur plaira mais que ce soit par lodz & volonctez desd. sgrs. & sans leur prejudice comment dict est (?) aussy lesd. sgrs. leursd. hoirs pourront prester aliener et vendre lesd. heritaiges & pieces a eulx escheuz et advenuz en tous lieux a cui que leur plaira & en quelque seigneuries ce soit. |
7) Répétition des 2 articles précédents et rappel que le seigneur peut, lui, faire ce qu'il veut des biens qui lui échoient. |
|
Pour le huictieme article que tous les tenementiers tenans pieces
d'heritaiges quelconques doibvent payer annuellement aud. Sgr sesd. hoirs dung chacun journal sept deniers & ung coupot d'avene & dune chacune faulcie de prelz estant equipolez a ung journal a tant et ... qu'ilz debvoient payer aud. Sgr chacun an seize chappons cy en devant et sont & seront doiresenavant quictes et ... pour ce quilz disent que ne soubvenir payer du passé que d'ung chacun journal cinq deniers en payent au pnt. sept deniers avec l'avenne comme dessus est dict. |
8) Ici est précisé le montant de la cense : pour chaque journal de champ ou fauchée de pré, le tenementier doit annuellement 7 derniers et un coupot d'avoine. Le montant serait passé de 5 à 7 deniers en contrepartie de l'abandon par le seigneur d'une redevance annuelle (globale pour la communauté) de 16 chapons dont les habitants sont dorénavant quittes, compte tenu qu'ils affirment n'avoir payé antérieurement que 5 deniers. L'application de cette cense nécessitait la tenue précise d'un registre ("terrier" ou "rentier") précisant, à date, le tenancier de chaque parcelle (tenure). L'évocation d'une redevance en poules (chappons) est une autre marque de servitude ; mais il y a ici doute sur l'existence de cette redevance. |
|
Item ont recongneu & declairé lesd. habitans que led. Sgr.
sesd. hoirs doibt avoir & prend entierement en toutte la fin & territoire dud. Rechottes la juste moytie des desmes groz & menuz sans nul reserve |
9) Le seigneur est décimateur pour la moitié du montant des grosses et petites (menues) dîmes |
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Item que le boys appelez le boys de Chavannes gisant entre le
banc boys de Vezellois & la goutte du bois à l'hoste de Novillers & le boys du Vauldieu & ... de part le Rupt de Ribolz est du propre heritaige dud. Seigneur sans part ny partie que aultres y aye ny debve avoir que led. sgr. & sesd. hoirs. |
10) Désignation des bois seigneuriaux. Ils ne sont pas identifiables sur le plan de finage, ni sur les cartes postérieures |
Selon la teneur de ces articles, même si le mot ne figure pas ici, les habitants sont chargés de la mainmorte, c'est à dire qu'ils entrent dans la catégorie des serfs, des non-libres. Bien que la condition réelle des mainmortables ne diffère pas énormément de celle de sujets francs, et que cette condition connaissent des variantes, le symbole de la mainmorte est très discriminant (on parle souvent de la "macule" de mainmorte) pour les sujets concernés, ainsi qu'on le verra plus loin.
Le document se poursuit par un rappel d'un acte du 2 juillet 1563.
L'article 8 ci-dessus instaurait une cense de 7 deniers et 1 coupot d'avoine par journal de champ.
Le terme et la livraison sont ici précisés :
feste sainct Jehan baptiste & la grainne a ung chacun jour de feste
st. Martin d'yvers et icelle somme d'argent & quantité de grainnes
rendre & delivrer au lieu de Roppe & chasteau maison & grenier
dud. Sgr. & à leurs propres fraiz missions & despens et
tousiours sus ung chacun jour de feste Monsgr Sainct Martin
d'yvers encommencant aud. jour prouchain ven[ant] et annuell[ement] suygant (...)
Les redevances doivent être livrées à Roppe (à environ 13km), aux frais des habitants.
Les rappels sont à présents terminés. Dans la dernière partie de l'acte, on en vient aux dispositions nouvelles que celui-ci instaure.
Le seigneur acte que les redevances sont trop lourdes pour les habitants de Rechotte (bas de la page 4 et haut de la page 5) :
Alors [lesdits sujets]
Le seigneur n'est pas insensible à ces demandes. Il sait surtout que "l'impôt tue l'impôt", que la servitude n'est plus économiquement viable et que l'affranchissement est la solution choisie par beaucoup de ses pairs (cf. partie 6) :
Le seigneur institue donc une redevance globale en espèces et en grains, censée se substituer aux précédentes redevances individuelles proportionnées à la surface de la tenure individuelle en s'appuyant sur le terrier de la seigneurie (cf. article 8).
Il est impossible de savoir si les habitants étaient réellement gagnants dans cette évolution, car on ignore les surfaces cultivées.
On peut néanmoins se livrer à un petit calcul : 5 livres représentent 1200 deniers, soit l'équivalent d'environ 171 journaux de champs ou fauchées de pré, au taux précédent.
Pour le seigneur, l'avantage majeur est qu'il n'aura pas à vérifier si chaque sujet lui verse bien les sommes correspondantes à ses réelles tenures, donc qu'il n'aura pas à se référer à son terrier. Il est d'autant plus gagnant que ces documents sont particulièrement fastidieux à tenir et à mettre à jour au gré des successions et mutations.
On en vient à présent au principe qui est au cœur de cette évolution fiscale et qui, comme on le verra, provoquera un conflit :
Les termes "immunes", "affranchit" et "servitutes" sont clairement associés au servage, à l'esclavage (même sous une forme dégradée) dont le seigneur "a la grâce" de libérer les habitants de Rechotte. On verra dans la partie suivante que c'est cette disposition, apparemment favorable aux sujets, qui mettra le feu aux poudres.
Avant de conclure, le seigneur n'omet pas de préciser toutefois que par ce pnt. traicté n'est en rien prejudicié dixme ny bois comprins au denombrement cy dessus.
Rappelons que la dîme est une redevance à l'origine ecclésiastique, basée sur les récoltes. Les dîmes dues à M. de Reinach à Rechotte étaient précisés à l'article 9.
À ce stade, l'historien est ravi : il a entre les mains un acte tardif d'affranchissement d'une communauté, et la preuve que, jusqu''en 1572, les villageois de Rechotte étaient mainmortables !
Las, il faut à présent revenir au début de l'acte. Et là, une mention ajoutée en marge remet en question l'acte et nous amène à le réinterpréter :


(Ce présent protocole n'a pas été exécuté, du fait que ceux de Rechotte déclarent n’avoir jamais été de mainmorte et ne pas reconnaître l’autorité dudit messire prêtre (6), et n’être tenus envers le seigneur de Rinach que des cens en grain et en argent sur leurs héritages, ainsi que de toutes autres subventions, justices, tailles et corvées, comme les autres sujets de la seigneurie d’Angeot relevant de la seigneurie de Belfort, et, par ce fait, qu'il ne doit avoir aucune valeur, comme il appert par l'arrêt de la cour d'Ensisheim ici attaché. À Belfort le 14 mai 1575.)
Notons déjà que le terme mainmorte est rarement employé dans la région, au point que pour Fiétier (3) "le terme n'est pas connu dans la région". Cet auteur indique aussi que la servitude, à la fin du moyen-âge, "englobe l'immense majorité de la population rurale" et que "primitivement tous ces gens ont dû avoir des charges semblables".
Ce que les villageois contestent en premier lieu n’est pas l’impôt, mais leur qualification juridique comme mainmortables.
Ils affirment explicitement qu’ils relèvent déjà du droit commun de la seigneurie d’Angeot, et non d’un régime servile particulier.
Même s’il est probable historiquement qu’ils aient été mainmortables dans un passé plus ancien, ce qui compte ici n’est pas l’histoire réelle, mais le dernier état juridiquement reconnu de leur statut.
Or, au XVIe siècle, en droit impérial, ce sont :
- les preuves écrites récentes,
- les appartenances seigneuriales reconnues,
- et les usages juridiquement validés
qui font foi.
En contestant la mainmorte, ils protègent avant tout :
- la libre transmission héréditaire,
- l’absence de droit de retour au seigneur,
- la pleine capacité juridique des personnes.
Ils ont dû recevoir comme un affront cette disposition les renvoyant à un statut inférieur à celui de leurs voisins. Les plus informés d'entre eux ont peut-être eu conscience du danger juridique pour leur statut futur, bien plus grave que la question du montant de la redevance.
Il faut bien noter qu'ils ne contestent pas dépendre du seigneur de Reinach ; ils affirment que leur dépendance envers lui est de même nature que celle des sujets de la seigneurie d'Angeot relevant du comté de Belfort, envers leur seigneur. De même nature, et peut-être aussi pour le même montant.
Pour faire valoir leurs droits, ils ont fait appel à la cour de la régence (ou "régime") d'Ensisheim (5).
Malheureusement, l'appointement (arrêt) évoqué dans la mention n'a pas été conservé dans ce registre.
La contestation formulée par les habitants de Rechotte ne vise pas le principe même de l’imposition seigneuriale, puisqu’ils reconnaissent explicitement devoir cens, grains, argent, tailles et corvées au seigneur de Reinach.
Elle porte sur la tentative de requalification de leur statut en mainmorte, qu’ils rejettent comme infondée.
En se déclarant soumis aux mêmes charges que les autres sujets de la seigneurie (prévôté) d’Angeot relevant du comté de Belfort, alors placé sous l’autorité directe des Habsbourg, ils s’inscrivent délibérément dans le droit commun impérial et non dans un régime servile d’exception.
Leur démarche ne relève donc pas d’une résistance fiscale, mais d’une volonté de défense du statut d’hommes libres à l’intérieur même de l’ordre seigneurial.
Ce positionnement éclaire le rejet de l’acte de 1572 : accepter l’affranchissement aurait implicitement consacré une condition servile qu’ils estiment juridiquement éteinte, tout en créant une charge nouvelle sans fondement légitime.
L’intervention du régime d’Ensisheim entérine ainsi non pas une révolte contre l’impôt, mais le primat du droit impérial. En cette période d'instabilité religieuse, les représentants de l'autorité impériale ont souhaité ne pas paraître soutenir ce qui était manifestement une tentative locale de régression statutaire, et montrer leur autorité aux seigneurs vassaux.
On ne connait pas la suite qui a été donnée à cette affaire. Le seigneur est-il néanmoins parvenu à faire valider la mutation fiscale qu'il avançait ? Des actes ultérieurs ont sans doute été produits, mais, apparemment, ils ne sont pas conservés aux AD90.
Revenons pour finir sur les raisons qui avaient poussé le seigneur de Reinach à engager cette révision des charges de ses sujets.
Que les actes de 1554 et 1563, cités dans ce textes soient authentiques ou non (2), l'affranchissement de 1572 à l'instigation du seigneur s'inscrivait, plutôt tardivement, dans le processus de transformation des anciens rapports personnels de dépendance en obligations financières collectives.
Les nombreux actes d'affranchissement, ceux-là non contestés (4), révélaient une évolution profonde et définitive des rapports seigneuriaux : en substituant aux anciennes servitudes personnelles des redevances collectives et prévisibles, ils inscrivaient les communautés dans un mouvement de long terme qui voit se transformer la nature même de la dépendance rurale.
Moins fondée sur la contrainte directe, plus structurée autour d’obligations comptabilisables et en principe négociées, la seigneurie adoptait une gestion davantage économique que statutaire.
Pour les habitants, la suppression de la mainmorte et des corvées ouvrait un espace accru d’autonomie collective, sans toutefois remettre en cause l’autorité éminente du seigneur.
L’arrangement de 1572, ou les actes similaires, apparaissait comme une étape vers une fiscalité plus « moderne », tout en demeurant ancré dans l’ordre seigneurial traditionnel : une liberté élargie, mais une liberté encore encadrée.
En prétendant mettre fin à condition de mainmorte pour fonder une redevance collective nouvelle, le seigneur entendait sans doute sécuriser et rationaliser ses revenus.
Mais cette stratégie s’est heurtée à une communauté désormais consciente de ses droits, capable de récuser une qualification juridique jugée obsolète et d’en appeler à l’autorité supérieure du régime d’Ensisheim.
La mention marginale de 1575 transforme ainsi un prétendu affranchissement en témoin d’un conflit de droit, dont l’issue marque la prééminence du droit impérial sur les prétentions seigneuriales locales.
Loin d’être un simple épisode fiscal, ce dossier met en lumière la judiciarisation croissante de la société rurale, la fragilité des anciens statuts serviles à l’époque moderne, et l’émergence d’un nouvel équilibre entre pouvoir seigneurial, communautés villageoises et souveraineté habsbourgeoise.
Il témoigne, enfin, du passage d’un monde fondé sur les dépendances personnelles à un ordre davantage structuré par le droit, le contrat et la fiscalité négociée.
| (marge) | |
| Ce pnt. prothocolle n'este estez grosser de ce que lesd. de Rechotte dient n'estre estez jamais de mainmorte et qu'il ne entendoient led. messire pr[est]re et qu'il n'estoient astenu a monsgr. de Rinach sinon des cense de grainne et dargent sus leurs heritaiges et toutes aultres subventions |
A tous soit notoire & manifeste que par devant le notaire & tabellion subrogué subsigné personnellement estably ass[avoir] Noble sgr. Jehan Henry de Rynach seigneur de Roppe & d'Amoncourt etc. d'unepart Jehan Fucß, Guyot Scernet, Jehan Bourcardey, Nicolas Cernet, Estienne Belat, Claude Magrey & Jehan Grozdenier (?) de Rechoutte faisans la majeur & plus sainne partie de lad. communaulté et tant en leurs noms privez & particuliers que pour & en nom de tous les aultres manans bourgeois & habitans dud. Rechoutte promettant leurs faire ratifier tout le contenu en cestes si besoing faict d'aultrepart Lesquelles parties ont faict, traicté, consenti, accordé et transigé reciprocquement les pactz & conventions que s'ensuyvent ass[avoir] Que comme aud. sgr. tant à cause de messgrs. ses prédecesseurs que aultrement justement & dehuement competent & appartiennent plusieurs droitz s[eigneur]iaux sur tous les tenementiers des terres situées es fin finaige & territoire d'illecques, comme aussy sur tous les heritaiges y situez soyent champs, prelz, meix, maisons que aultres quelconques sans en aulcung excepter & le tout comme plus au plain est contenu, speciffié & declairé en certain denombrement & recongnoissance desd. droictures faicte par lesd. bourgeois et habitans dud. Rechouttes au proufit dud. sgr. le vingtcingme. d'apvril mil cinq cens cinquante & quatre stil de Basle |
| justies taillable courvables comme les autres subiectz de la sgrie d'Angeot à la seigneurie de belfort et parce doit estre de nulle valleur comme il appert par l'appoinctement de messires du Regime d'Anguesscey ycy ataichez faict à belfort le 14e de may 1575. |
|
p. 2 
et receue et signée par messire Jacques Lobelz vicaire de Novillers
et François Bobance de Bessoncourt, notaires, dont la teneur
s'ensuyt de motz à aultres, Nous Jehan Fuß de Rechottes
et Jehan son filz, Thiebauld Rosset, Jehan Peletier, Blaise Chantenon
& Guyot Semet bourgeois mannans & résidans au lieu dud.
Rechottes tous pnts. lesquelz, sans en aulcune maniere estre controinctz
decehuz, circonvenuz, frauldez ne baretez, mais de leurs plains grez
pures franches & liberalles voluntez ont promis par leurs seremens
ung & chacun d'eulx, pour eulx & pour leurs hoirz, de recongnoistre &
declairer à Noble sgr. Monsgr. Jehan Henry de Rynach seigneur
d'Amoncourt & de Roppes en partie etc. aussy pnt. acceptant pour
luy & pour ses hoirs les choses poinctz & articles cy après suygans,
par devant discrete personne messire Jaques Lobel prestre vicaire
de Novillers & par devant François Bobance de Bessoncourt notaires
etc. adce commis par led. Seigneur & lesd. habitans dud. Rechottes, que
fut faict aud. Novillars en la maison d'hon. homme Claude Jehan
Perrin mayre aud. lieu le vingtcinquieme jour d'apvril stil de Basle
l'an nre. sgr. courant mil cinq cens cinquante & quatre.
Et premierement ont recongneu lesd. déclairans que tout & tant
ce qu'ilz ont & tiennent d'heritaige gysant ou maigny dud.
Rechottes & deans les quatres cors & territoires dicelluy, tant en
champs, prelz, oiches, chesaulx, curtilz, terres aribles & non aribles
que tous aultres heritaiges soient tant aud. Rechottes de la
paroisse dud. Novillers qu'aultrepart quilz le tieignent & est du
propre & vray heritaige dud. sgr. Jehan henry etc. et l'ont tousjours
tenu lesd. declairans dud. sgr. & ses antecesseurs jusques au present.
Secondement que toutes les fois que ung deulx est trespassé de
ce ciecle sans delaisser leaulx hoirs naturelz & engendrez de
son propres corps & de loyaulx mariaige que en ce cas tout
les heritaiges quil tient aud. lieu sont tantost & expressement
escheuz aud. sgr. ou a ses hoirs sans reclamation daultruy.
Pour le troisieme article que toutes les foys que le principal
de l'hostel de lung desd. terres est mort ayant leaulx hoirs de
son corps, doibvent venir reprendre l'heritaige delaissé par led.
deffunct deans ung an & ung jour mais led. sgr., ses hoirs,
lieute[nants], officiers ayans certains commandement d'eulx, et reprendre
led. heritaige par le plus prochain h[eri]tier delaisse par led. deffunct
en payant aud. sgr. pour la reprinse austant que led. tenementier
doibt de sa premiere cense, soit en argent ou en grainnes.
Au quatrieme article, qu'ilz ne peuvent ny ne doibvent prester à
aultruy sans la voulunté dud. sgr. & ses hoirs et s'il faisoit au
contre, fut en tout ou en partie, led. prest seroit escheu aud. sgr.
et sesd. hoirs.
p. 3 
Item au cinquieme article que si vendent ou alienent aulcune
chose desd. heritaiges qu'ils le doibvent faire par lodz dud. sgr.
ou sinon ne le faisait seroit escheuz led. bien aud. sgr. et sesd. hoirs.
Item pour le sixieme article si lesd. tenementiers requeroient
aud. sgr. sesd. hoirs de consentir en vendaige prestz ou en eschanges
et qu'il plaise aud. sgr. qu'il en doibt estre privilegiez de l'avoir
devant tous aultres pour douze deniers moings que ung aultre
n'en vouldroit donner sans frauldz ny sans abuz, et si led. sgr. ne
le vouloit point pour luy ou pour ses hoirs, qu'il debvoit ouctroyer
le marchelz saulfz touttefois [en réserver ?] le préjudice de lui & de ses hrs.
Au septieme article dyent lesd. tenementiers qu'ilz peuvent vendre
leurs heritaiges à cui qu'il leur plaira mais que ce soit par
lodz & volonctez desd. sgrs. & sans leur prejudice comment dict est (?)
aussy lesd. sgrs. leursd. hoirs pourront prester aliener et
vendre lesd. heritaiges & pieces a eulx escheuz et advenuz en
tous lieux a cui que leur plaira & en quelque seigneuries ce soit.
Pour le huictieme article que tous les tenementiers tenans pieces
d'heritaiges quelconques doibvent payer annuellement aud. sgr.
sesd. hoirs d'ung chacun journal sept deniers & ung coupot d'avene
& d'une chacune faulcie de prelz estant equipolez a ung journal
à tant et pour ce qu'ilz debvoient payer aud. Sgr chacun an seize
chappons cy en devant et sont & seront dorresenavant quictes
et remis pour ce quilz disent que ne souloient payer du passé
que d'ung chacun journal cinq deniers en payent au pnt. sept
deniers avec l'avenne comme dessus est dict.
Item ont recongneu & declairé lesd. habitans que led. sgr.
sesd. hoirs doibt avoir & prend entierement en toutte la fin
& territoire dud. Rechottes la juste moytie des diesmes groz
& menuz sans nul reserve.
Item que le boys appelez le boys de Chavannes gisant entre le
banc boys de Vezellois & la goutte du bois à l'hoste de Novillers
& le boys du Vauldieu & ... de part le Rupt de Ribolz est du
propre heritaige dud. seigneur sans part ny partie que aultres y
aye ny debve avoir que led. sgr. & sesd. hoirs.
Ainsy le tout faict donné & passé aud. Novillers es an & jours
que devant soubz la signaiture des notaires subscriptz à la prière &
requeste dud. seigneur & desd. habitans en promestans lesd.
habitans renouveller lesd. terres & declairer tantes & quantes fois
quil plaira aud. sgr. ou aultres de luy ayant cause combien
chacun en tient à part soy pour en payer son advenant. Presens hon.
homme Claude Jehan Perrin, maire aud. lieu, & Henneman Moutet
de Fontenelles tesmoings adce requis ainsy soubscript. F Bobance.
Depuis laquelle recongnoissance ainsy passée et accordée,
p 4 
soit advenuz que led. sgr. leur heut remis et immué conditionnellement
comme en l'instrument dont le teneur s'ensuyt assavoir.
Et depuis mesmes le deuziesme jour du mois de juillet
l'an mil cinq cens soixante & trois estans en propres personnes
tous les manens et habitans dud. Rechottes, mesmes Jehan
Fuß, Guyot Semet, Jehan Peletier, Jaques Rosse, Blaise
Chantenan & Pierre Favel dud. Rechotte conjoinctement par ensemble.
Lesquels ont faict les traitez, accordz, & compromis avec noble
seigneur monsgr. Jehan Henry de Rynach, seigneur d'Amoncourt et de
Roppes en partie etc. en la sorte & maniere cy après suygans.
Assavoir & premier que de tous les poinctz & articles cy devant
mentionnez enquoy ilz estoient attenuz & subiectz aud. sgr. Jehan Henry,
que à la très humble priere & requeste des susd. de Rechottes, que led.
sgr. de grace especialle leur a quicte & remis lad. subiection cy
devant escripte par eulx nouvellement recongneuz & demontrez.
Par moyen & condition que iceulx dud. Rechottes font annuellement
& perpetuellement tenu recuillier & percepvoir les deniers & grainnes
a eulx dehuz aud. sgr. sur leurs heritaiges assavoir sur ung chacun
journal en argent sept deniers et ung coupot d'avenne à la
mesure de Novillers, laquelle somme ce payera au jour de
feste sainct Jehan Baptiste & la grainne a ung chacun jour de feste
st. Martin d'yvers et icelle somme d'argent & quantité de grainnes
rendre & delivrer au lieu de Roppe & chasteau maison & grenier
dud. sgr. & à leurs propres fraiz missions & despens et
tousiours sus ung chacun jour de feste monsr. sainct Martin
d'yvers encommencant aud. jour prouchain venant et annuellement suygant.
Et le cas advenant que lesd. habitans fussent defaillans sans
annuellement & entiement payer lad. somme d'argent & grainne
comme dessus est dit et que deux censes rencontrissent l'une
l'aultre alors & pour dès maintenant nous submectons & obligeons,
pour nous & pour noz hoirs estre reescheuz & attenuz en tous lez
poinctz & articles cy dessus mentionnez. Faict au proufit dud. sgr., presens
vénérable personne messire Estienne Dairot dateur(?) & prieur de
Froidefontaine, messire Jehan Bachelier curé à Gronne & Novillars,
Claude Beudot, Claude Charpyot dud. Novillers, tesmoings.
Et
que à cause des seelz requis acquel instrument quelque contention
soient esté es...ttes entre lesd. de Rechotte & led. fut Bobance
jaidis recepveur dud. sgr., tellement qu'à ceste occasion lesd.
manans ayent delaisse de payer les censes cheuttes pour
quelques années, occasion de quoy led. sgr. aye voulu remectre
et rentruyre (?) lesd. manans & bourgeois es servitutes comme dict est.
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Congnoissans donc lesd. bourgeois que le telles droictures
& servitutes seigneurialles leurs estoient quelquement pesantes ce
soient retirez dereschefz devers led. sgr. luy supplient humblement
de les respetter en pitié et de grace leur changer & immuer
lesd. droictures & servitutes seigneurialles en plus gratieuses
À quoy led. sgr. favorablement inclinant pour le soulagement
desd. habitans sestoit consentu. Pource est-il que icelluy sgr.
dez maintenant et pour l'advenir pour luy, ses hoirs, successeurs
& ayans cause a de grace specialle et pour l'advancement
& utilité desd. manans pour l'advenir change & immue [a] changé
et immué par cestes au prouffit desd. manans toutes et
singulieres les servitutes & droitures susd. que derechefz
lesd. manans ont recongneu & recongnoissent au proufit dud.
sgr. assavoir en sept quarryz davenne mesure de Moisonvaulx
et cinq libvres balloises d'argent que cy aladvenir lesd.
habitans manans & bourgeois dud. Rechotte, ensemble de tous
leurs successeurs bourgeois & habitans, seront tenuz payer rendre &
delivrer à une fois, & par ... main de l'ung d'eulx que pour ce
ilz choysiront, aud. sgr. pnt. & stipulant, pour luy & le siens en sa
maison de Roppe annuellement & a chacun jour de feste assavoir la
grainne a la St Martin d'yvers & largent a la St Jehan Baptiste
dont les premiers termes seront auxd. jours prouchains venants etc. dez
là en avant, consequemment & perpetuellement, d'années & termes en
aultres, et ce moyennant, seront quictes immunes & alliberez comme led.
sgr. les allibere & affranchit de toutes les aultres servitutes contenues
en la recongnoissance preinserée, desquelles servitutes & droitures
led. sgr. lez a faict cession & renonciation, pour en user sur estrangers
tenans & possedans desd. heritaiges, ainsy qu'icelluy sgr. ferat (?) &
faire pourroit (?) en vertu de la recongnoissance susd., lesquelles pactz, changements
& recongnoissances susd. lesd. parties ont respectivement & reciprocquement passé,
consentu accorde & recongneu comme dict est, devestant etc., investant etc., denunçant etc.
lesd. manans tous & singuliers leurs héritaiges, champs, prelz & aultres
estre affetez & chargez seigneuriallement envers led. sgr. de la cense predite de
sept quarryz d'avenne & cinq libvres d'argent monnaie balloise. Ainssy est
traicte que deux semblables lettres s'expedieront pour l'une & l'aultre des parties
soubz le seel du tabellion de belfort & dud. sgr. Jehan Henry de Rinach, et
par ce pnt. traicté n'est en rien prejudicié dixme ny bois comprins
au denombrement cy dessus que deuement ... & ... aud. sgr.
pour en jouyr comm'il a faict du passé. Que furent faictes, louhées (?)
& passées au lieu de belfort le vingtieme jour du mois de mars
l'an mil cinq cens septante & deux stil de basle. Presens nobles
homme & saige messire Servois Bichin docteur es drois, hon. homme Jehan
Haye le viel, prevost de Belfort, Thiebauld Sebille de Sermamagny
Thiebauld Jerdat d'Esvectes & Michiel Ruellier d'Eschaynes,
tesmoings adce priez appellez & requis.
Dans son chapitre consacré à la prévôté d'Angeot, il remarque que "(...) la situation de Rechotte est plus délicate. Nous ne trouvons pas au XVème siècle d'inféodation complète à un seigneur, pas plus qu'au XVIème siècle (...)".
D'autre part, il note que dans le terrier de 1742, "les habitants de Rechotte (...) se prétendent exempts du droit de val". Ce droit étant considéré comme une survivance de la condition servile, ceci nous rapproche un peu de notre questionnement.
- charte de franchise de Belfort en 1307,
- charte de franchise de Delle en 1358 (notre article),
- charte de franchise à Grandvillars en 1392, confirmée en 1477 (notre article),
- franchises individuelles à Dorans au XVIe siècle (notre article) et à Châtenois au XVIIe siècle (notre article).
Il constitue, au XVI? siècle, le principal relais du pouvoir impérial dans la région, garant de l’application du droit commun face aux juridictions locales.
(AD68, archives Reinach E172)


