L'acte transcrit ci-dessous met en lumière deux aspects de la vie rurale à la fin du XVIème siècle.
- Les activités minières dans le
Rosemont.
Ce sujet a été étudié par plusieurs spécialistes. Voir également notre présentation de la liste des mineurs à Giromagny en 1586.
F. Liebelin1 nous rappelle que les premières exploitations minières connues dans le Rosemont remontent à la fin du XIVème siècle ; dés le début, les seigneurs Habsbourg (ou leurs engageurs) amodient ces activités à divers particuliers. La seconde moitié du XVIème siècle marque l'âge d'or des mines du Rosemont. En effet, les mines (en particulier d'argent) découvertes dans le nouveau monde rendent de nombreux gisements européens peu concurrentiels (déjà la mondialisation !) Par contre, les filons de la région de Giromagny, jusqu'ici peu sollicités paraissent prometteurs vont drainer les spécialistes qui les exploiteront systématiquement, selon des méthodes peu respectueuses de l'environnement. Les gisements produisent du plomb ou du cuivre et du plomb argentifère2.
Les professionnels qui appliquent ces techniques modernes pour l'époque sont souvent d'origine saxonne ou tyrolienne ; la quasi-totalité des noms ont une consonance germanique.
On pourra feuilleter sur ce sujet sur le site de la BnF un document exceptionnel : De re metallica libri XII , quibus officia, instrumenta, machinae ac omnia... de Georg Agricola (1494-1555) dont sont extraites les illustrations (un peu antérieures à la période de l'acte) de cette page.
A Giromagny, la production connaîtra son apogée vers 1570.
D'autres ruraux ont sans doute été attirés par l'explosion économique de cette région par un phénomène que l'on connaît encore de nos jours, pour y exercer les activités les plus diverses. - La mainmorte
On trouve trace, dans l'acte en question, d'un certain Jacques GrosGuillame, originaire de Morteau, décédé sans doute vers 1579.
Son activité nous est inconnue ; on sait par contre que sa condition relève de la mainmorte.
Cette condition est le dernier vestige de la servitude. Vers 1600, elle a quasiment disparu en France.
Cette servitude consistait essentiellement, à l'origine, dans l'incapacité du sujet à transmettre son patrimoine à sa famille. Ce patrimoine revenait théoriquement au seigneur.
Très tôt la mainmorte s’allégea et le seigneur se contenta de prélever un objet, un bien ou une taxe représentant le rachat d'un tel bien.
Mais dans les provinces de Franche-Comté et d'Alsace, non encore rattachées à la couronne, elle est encore en vigueur.
- En Franche-Comté, il semble que le tiers de la population soit serve. Dans les campagnes de la province, les lieux serviles sont omniprésents, sauf autour de Besançon, pôle de franchise, et dans les zones de vignoble. La majorité des seigneuries serviles y relèvent de l'Église.3 Le village de Morteau relève de la seigneurie du prieuré de Morteau.
- En Alsace (donc dans le comté de Belfort), d'après Fiétier4, (la catégorie des non-libres) englobe l'immense majorité de la population rurale. Le non-libre est soumis à la charge de la mainmorte. A vrai dire le terme n'est pas connu dans la région sauf dans les actes rédigés dans la région de Montbéliard. Le droit du seigneur à prélever une pièce de la succession du sujet s'appelle ici droit de val ou de fal.
Le cas qui nous est présenté est donc assez complexe, puisqu'il s'agit d'un sujet (du prieuré de Morteau) qui a quitté illégalement sa seigneurie pour s'installer à Giromagny où il a acquis une maison (et fait quelques dettes).
Hon(nête) hom(me) Jehan Bourdenet lieutenant de Rosemont
ayant charge et procuration de Messires les
Gouverneur et officiers de Belfort
pour luy ses hoirs successeurs et ayans causesa vendu cedé quité renoncée et transporté
a Gorius Pesay sergent du lieu de giramaigny
pnt. stipulant et achetan, à scavoir une
maison chesaulx pourpris aisance et appartenance
d'icelle seant prouche de l'église dud. lieu
Leodegarius Kuechhotter devers dessous
et George ( ) le clavier ou
sonneur devers dessus, le chemin de lad.
eglise par devant, franchement sinon des
charges s(eigneu)ieuses, Pour la Somme de
vingt et neufz libvres monoye baloise
et dix solz, heu etc. quicté, laquelled(ite) maison
et pourpris a estez escheute a
la s(eigneu)rie a cause d'une succession faicte
de la mainmorte de fut Jacques Grozg(uil)l(a)me
de Mortaux lequel oultre les deffences
dictz et commandement c'estoit retiré a
lieu dud. Giramaingny sans avoir ester
affranchy de lad. mainmorte, et sont
esté applicquer quatorze libvres monoye
(sus)dicte, pour satisfaire aux debtz dud.
Grozguillame, et le reste led. acheteur
en a constitué lres. censive a lad.
s(eigneu)ries, devest. etc. invest. etc. promet. etc.
renonc. etc. faict et passez aud. Giramengny
le neufviesme jour de may l'an 1579
Pnt. Colard Baguet de Planchier et Jaicques
Hiensch demeurant aud. Giramengny
tesmoingz ad ce requis.
Un autre aspect servile de la mainmorte est effectivement l'interdiction ou la restriction à l'émigration. On retrouve bien là un vestige de l'idée d'appartenance du sujet à son seigneur (pour lequel, en plus d'une source de revenus -ce qui est aussi le cas des sujets libres-, il est une source d'accroissement de patrimoine).
La liberté de déplacement est souvent accordée au sujet à condition qu'il conserve une terre dans la seigneurie (que le seigneur pourra s'attribuer à la mort du sujet s'il n'est pas revenu), ou qu'il s'acquitte d'une taxe.On ignore quelles sont les règles imposés par le prieuré de Morteau. L'individu en question a violé les "défenses" et ses héritiers éventuels doivent s'attendre à l'application sévère du droit seigneurial le plus élémentaire.
L'acte nous dit donc que la maison a échu à la seigneurie (de Belfort) qui, par ses représentants (gouverneur et officiers de Belfort) la met en vente par les soins de son agent, le lieutenant de Rosemont.
On aimerait savoir si le paiement perçu par la seigneurie est destiné à revenir à la seigneurie d'origine du défunt.On trouve également le verbe "affranchir" qui marque encore plus la notion de servitude.
L'affranchissement peut se faire, dans certaines seigneuries, soit par une procédure radicale, le désaveu, dans lequel le sujet abandonne tous ses biens au profit de sa liberté, soit par une convention par laquelle le seigneur accorde la liberté au sujet au prix qu'il a décidé, soit (pour les femmes) par mariage avec un homme libre5.
Curieux raccourci de l'histoire !
Notes :