L'aspect le plus inattendu (pour l'mateur habitué aux archives du 18ème siècle de la région de Belfort) de la justice seigneuriale à Montreux-Château vers les années 1650 est la proximité singulière entre le détenteur (en général purement théorique) de la puissance judiciaire (le seigneur) et les justiciables.
Il arrive en effet assez souvent que le seigneur (Ruedolphe de Reinach pour les années 1660) intervienne pour une sentence. L'objectif avoué est toujours d'apaiser les esprits, d'éviter les frais de justice, par une décision magnanime qui prévaudra sur toute autre (à l'intérieur de la seigneurie et hors recours en appel à un ressort plus large).
Donnons un exemple original, où apparait clairement la conception qu'a le seigneur de ses devoirs et ses droits.
Le 10 février 1662, le receveur et le bâtonnier, pourtant
requis, sont absents (il s'agit peut-être d'une seule en même
personne, Adam Beurret ; ce qui, en tout état de cause, nous vaut
une écriture encore pire que la sienne). S'ensuit d'abord un exposé de la dite affaire : La femme de Pierot Girard a été antérieurement condamnée
à une amende de 1£ 10s et à "faire dédite"
(à retirer ses propos). Toutefois, le seigneur, "désire et cherche la paix entre
ses sujets" et "éviter les grands frais de justice
(et) les inimitiés qui en pourraient survenir". Enfin, il est ordonné "aux sujets de lui obéïr, sans contredit, [mais] que s'ils ont opinion qu'il leur fasse plus qu'il n'a d'autorité" (qu'il fasse preuve d'excès d'autorité à leur égart) "se présenteront devant le seigneur en faisant leur plainte, sur quoi leur sera fait justice". "Toutefois, les avertissant ne point friponner, à
moins de quoi ils seront chatiés jusqu'au vif pour leur apprendre
[à] se mettre au respect du seigneur et, à son absence,
de son officier." |
Il apparait dans les rappels à l'ordre du seigneur des aspects authentiquement
féodaux : le seigneur, qui représente l'autorité suprème
par droit absolu et quasi divin, impose la justice en allant jusqu'à
dissoudre certains faits (les injures sont abolies). Cette justice est bienveillante
et paternaliste : il veut qu'on l'aime.
Toutefois, les temps commencent à changer, et les sujets ont le droit
de se plaindre de ses excès d'autorité (on n'a néanmoins
pas relevé beaucoup de plaintes de ce genre).
En tout état de cause, il apparait clairement que le seigneur de Reinach
veut éviter les perturbations en les ennuis. Il n'a pas intéret
que les villageois se querellent et que ses villages soient à feu et
à sang ; celà ne pourrait que peser sur leur prospérité
(donc la sienne) et donner une mauvaise image de sa petite seigneurie. Dans
le cas de cette affaire, il n'a pas non plus envie de se quereller avec le maire
de l'autre seigneurie de Montreux (Montreux-Foussemagne, dite Montreux-Granvelle),
François Boron, qui est un personnage assez important (maire de Montreux-Jeune,
sans doute un des sujets les plus fortunés du secteur). Et pour celà
il est prêt à se fendre d'une longue publication judiciaire et
à sacrifier quelques amendes.