Une famille de Grosmagny émigre aux USA
Le port de New-York en 1848, sur Wikimedia commons
Par LISA

Le 16 juin 1852, une famille originaire de Grosmagny débarque à New York ; ils avaient embarqué au Havre sur le navire "Prince Arthur".

Il s'agit de la famille Barberet, dont la "passenger list" ci-dessous nous donne la composition.

Dave Barbret, descendant à la 5ème génération, et Denis Cavalotti, qui effectue le dépouillement des bms de Grosmagny, ont entrepris de retracer les origines et l'itinéraire de cette famille.

1 Les immigrants
2 Le "mystère" Joseph
3 Le voyage
4 Installation
5 La 2e generation
6 Questions-réponses avec Dave
7 Les ancêtres de Jean-Baptiste Barberet

1) Les immigrants

Fac-similé d'un extrait du manifeste 6995, du 17.6.1852
Passenger Lists of Vessels Arriving at New York, New York, 1820-1897 ; Records of the U.S. Customs Service, Record Group 36; National Archives, Washington, D.C.

  • les parents:
    - Barbarit (Barberet) Jean (-Baptiste), 45 ans en réalité
    - (Lamielle) Marie, 44 ans en réalité


  • Ils s'étaient mariés le 9 août 1831 à Grosmagny (acte de mariage)
    Leurs signatures à ce mariage :
    signatures conjoints
  • leurs enfants :
    - Julie (Marie Ursule Julie), 19 ans
    - "Jenny" (Marie Thérèse Eugénie), appelée ultérieurement Mary, 16 ans
    - Friedlin (Jean Baptiste Alexis Fridolin), 11 ans en réalité
    - Edouard (Georges Désiré Edouard), 8 ans
    - "Jelmonin" (Anne Claude Philomène), appelée plus tard Philomena, sa jumelle, 8 ans
    - Joseph (Pierre Joseph Isidore II), 6 ans.

  • un autre Barberet semble également mentionné sur cette liste :
    - Joseph, 24 ans, qui n'est plus documenté par la suite.

Avant son départ, Jean-Baptiste était agriculteur à Grosmagny (il a épousé Marie Lamielle en 1831 ; ils ont perdu 2 enfants, dont un premier "Pierre Joseph Isadore" en 1846).

2) Le "mystère" Joseph

Aucun Joseph Barberet ne naît à Grosmagny aux alentours de 1824. Le passeport de Jean-Baptiste a été délivré par la préfecture du Haut-Rhin le 20 février 1852 à Jean-Baptiste et indique qu'il est "accompagné de sa femme et de ses 6 enfants" (et non 7).

Par ailleurs, aucun Joseph B. n'apparaît non plus dans les recensements de la région de Detroit dans la 2e partie du XIXe siècle.

Nous avons donc d'abord pensé que ce Joseph était un homonyme (parent ou non) originaire d'une autre commune, et s'était séparé de la famille, ou qu'il était décédé assez tôt.
Mais, autre problème : la liste nominative (mais pas nécessairement exhaustive) des Haut-Rhinois ayant émigré en Amérique (dressée par les AD du Haut-Rhin et mise en ligne par LISA) ne fait apparaître aucun Joseph B. avant 1852...

Décidément, ce Joseph parvient à échapper à beaucoup de documents, dans lesquels ses compagnons Barberet laissent tous une trace...

C'est alors que Denis C. remarque que fut délivré le Colmar un jour avant celui de JB un passeport à un certain Pierre Joseph Bringard, de Grosmagny, souhaitant émigrer à Louisville, comme les Barberet ; même origine, même destination, demande déposée sans doute en même temps... ce Joseph a probablement voyagé avec la famille Barberet ; or il n'y a aucun français nommé Bringard dans la liste complète des passagers du Prince Arthur ; en revanche, Dave parvient à trouver un Joseph Bringard dans le recensement de la communauté de Grosse Point (celle où s'installent les Barberet) de 1870.

Nous nous autorisons donc à émettre l'hypothèse que ce 2e Joseph Barberet est en fait Pierre Joseph Bringard, sabotier de Grosmagny, né (probablement) le 26.10.1827, de Jean Pierre et Marie Rose Démeusy.

Par ailleurs, Joseph Bringard a été rejoint en 1853 par une partie de sa famille : ses parents et son frère (François-)Xavier, son cadet de 3 ans, et on retrouve en 1870 leur mère Rose Démeusy habitant avec ce dernier.
Joseph a donc servi d'éclaireur à la famille Bringard, dont l'étude serait sans doute également fort intéressante.

3) Le voyage

Le milieu du XIXe siècle est la période d'expansion du chemin de fer.
Malheureusement pour nos voyageurs, si la liaison Paris-Le Havre est ouverte, la ligne Paris-Mulhouse n'est pas encore achevée ; ils ont donc dû accomplir au moins une partie du trajet par la route, jusqu'à Dijon, Troyes, ou Tonnerre.

Les débuts du chemin de fer (image d'Epinal), à une époque très voisine de celle du voyage
de nos émigrants (image BNF/Gallica)

Le train quittant la gare de Belfort, gravure du milieu du 19ème siècle (ADTB 7 Fi 12)

La période est également transitoire pour les navires. Le milieu du XIXe siècle est en effet une époque où apparaissent des navires à vapeur munis de grandes roues à aubes ; celles-ci seront en 1870 définitivement supplantées par les hélices.

Mais les navires à voiles transportent encore des passagers jusque dans les années 1870 ; parmi eux, le "Prince Arthur", sur lequel les Barberet embarquent en 1852 : c'est un grand 3 (ou 4) mats-barque construit en 1850 dans un chantier de Nouvelle-Ecosse (Canada) et affrêté par une compagnie britannique.
Il est construit en bois, recouvert de métal. Il transportera encore pendant de nombreuses années des immigrants vers le nouveau-monde.

Un 3-mats barque du début du 20ème siècle : le Bonchamp (qui, lui, n'est apparemment pas destiné au
transport de passagers)

L'embarquement se fait au Havre sans doute début mai (la Compagnie Générale Transatlantique ne sera créée que 10 ans plus tard) ; les compagnons de voyage des Barberet sont presque tous allemands ; comme d'ailleurs leurs futurs voisins à Grosse Point.

Nous connaissons un peu les conditions de voyage sur ce navire, grâce à une relation faite par un passager de la traversée suivante, en août 1852 :
Récit d'un voyage d'Allemagne à Québec à bord du Prince Arthur


On peut imaginer que le voyage des Barberet s'est déroulé dans des conditions comparables ; le Prince Arthur transportait environ 520 passagers : le manifeste en dénombre 524, dont exactement 86 français -essentiellement alsaciens-, 398 allemands et 40 suisses - source : Data Files Relating to the Immigration of Germans to the United States, U.S. National Archives and Records Administration -. Une traversée durait de 30 à 40 jours, selon l'état de la mer (ici, 36 jours).

L'arrivée a lieu le 16 juin :

INFORMATIONS MARITIMES

PORT DE NEW-YORT... MERCREDI 16 JUIN

Départs
...
Arrivées
...

  Navire Prince Arthur, (Britannique) Dixsen [capitaine], le Havre [provenance], 36 jours de mer, sans marchandise
avec 547 passagers, affrêteur F. & D. Fowler, vaisseau appartenant à Davis & Brooks.

Le débarquement a lieu le lendemain, dans le port de New York : avant 1855, en effet, les immigrants n'étaient pas regroupés à leur débarquement ; de 1855 à 1890, ils débarqueront à Castle Garden, de 1890 à 1892 à Old Barge Office, et à partir de 1892 à Ellis Island.


Le port de New-York en 1848.

On le voit, le voyage de la famille Barberet se situe au tout-début de l'immigration européenne aux USA et elle peut légitimement se considérer comme une famille de pionniers.

4) L'installation

Le passeport Barberet porte comme destination "Louisville, Kentucky" (ville dont la fondation et la population initiale doivent beaucoup aux immigrants d'origine française, et plus précisément alsacienne et protestante), mais, peut-être à la suite de leurs compagnons de voyage, la famille s'installe dans le village de Leesville, "township" (communauté) de Grosse Point, comté de Wayne, Michigan.


Le Michigan, bordé par les lacs Huron et Michigan, avec au sud la
zone très industrialisée de Detroit ; dans la partie nord, on trouve de nombreux
toponymes rappelant les premiers colons français.
(Courtesy of the University of Texas Libraries, The University of Texas at Austin.)

Le comté de Wayne dans le Michigan ; en rouge la communauté de Detroit ;
en bleu celle de Grosse Point.

En 1865, la région de Detroit est loin de la mégalopole post-industrielle d'aujourd'hui ; le secteur de Grosse Point est entièrement agricole ; Jean-Baptiste y achète une ferme à Henry Hudson en 1856.

La famille est catholique ; les mariages des enfants et les inhumations se dérouleront à la paroisse de "l'Assomption de la Sainte Vierge", dont dépend le cimetière de "la grotte de l'Assomption" (Assumption Grotto Cemetery).
Jean-Baptiste meurt en 1874 ; son épouse vers le 3.3.1890, selon une attestation postérieure.

5) La 2e génération
(Toutes les photographies appartiennent à la collection personnelle de Dave ; reproductions réservées)

Nous sommes documentés sur 5 des 6 enfants :
- Julie épouse Frank Hartman en 1856,
- Mary (1836-1921) épouse Frank Almont en 1863,
- Joseph décède à Grosse Pointe en 1873,
- Philomena (1844-env. 1886) épouse Anthony Young en 1867,
- Edouard (1844-1925), le frère jumeau, épouse Mary Schoenherr en 1875 ; ce sont les arrière-grand-parents de Dave.

Quant à Fridolin, il est encore là en 1864 (au baptême de son neveu ci-dessous) mais, plus tard, il part plus à l'ouest où il décède.
Dave note : "One brother went out west ( Fridolin) He died someone notified the family and asked if they wanted the body brought back to Michigan for burial and the family said no (Un des frères est parti vers l'ouest. Puis il est mort, quelqu'un en informa la famille et lui demanda si elle voulait que le corps soit ramené au Michigan pour l'enterrer ; la famille dit non)".

Deux branches seulements sont connues par Dave :
Mary et Frank Almont
quittent le Michigan pour l'Iowa puis le Sud Dakota ; leur 1er enfant sera appelé Friedlin (1864-1931), comme son parrain Fridolin Barberet.

Frank et Mary Almont (au 1er plan), vers 1920


Edouard (1844-1925) et Mary Schoenherr (1858-1926) ne quitteront pas Grosse Point (les Schoenherr y sont également installés, et une rue porte encore leur nom). En 1875 Edouard rachète la propriété des parents à ses 3 soeurs (Friedolin semble décédé) pour 500$ chacune.


Magnifique photographie d'Edouard et des siens devant la ferme familiale

Edouard Barberet, agriculteur toute sa vie

Note de Dave : "Les Barberet ont la peau claire, les cheveux châtain clair ; ils sont grands, le nez fort, le menton petit, habiles de leurs mains, intéressés par la mécanique, travailleurs courageux, honnêtes et persévérants, très ouverts, secourables, diserts, pratiquant l'humour, aimant les fêtes, les jeux de cartes, et bons vivants. Leurs voisins les appellent crazy frenchmen".

Edouard et Mary ont 9 enfants, dont 4 fils et 4 filles avec descendance.
Les 4 fils (Joseph, Sylvester, Rudolph, Harold) abandonnent l'agriculture : 1 est ouvrier dans l'automobile, 1 chauffeur de bus, 1 travaille dans une laiterie et un dernier exerce diverses professions industrielles ou artisanales.
Mais aucun ne quittera le Michigan (Detroit, Roseville, Mt Clemens) ; à noter que le dernier, Harold, résidera dans une rue portant son propre nom (Barbret st., Mt Clemens).

de g. à d. 6 des 9 enfants : Anne, Rudolph, Sylvester, Harold, Eleanor, Joseph vers 1954

Le père, Edouard, sera aussi inhumé au "Assumption Grotto Cemetery", mais sa tombe sera plus tard transférée au "Mt Olivet Cemetery", toujours à Detroit.

6) Questions-réponses à Dave

Pour la suite, nous donnons la parole à Dave, qui, en plus de toutes les informations ci-dessus, a bien voulu répondre à nos questions :

LISA : Savez-vous pourquoi JB Barberet décida d'émigrer en 1852 ?
Dave Barbret : Nous ne connaissons pas la raison qui l'a amené à émigrer à un âge assez avancé. Lui et sa femme avaient 46 et 47 ans [45 et 44 ndlr], et 6 enfants, quand ils prirent cette décision. J'aimerais découvrir s'il y avait des problèmes à Grosmagny à cette époque. Famine, conflits politiques ?

Avaient-ils de la famille ou des amis aux USA ?
J'ai cherché s'il y avait des familles qu'ils auraient pu connaître. Girardy est un nom qui vient de Grosmagny ; la famille Girardy possédait la ferme voisine de celle de JB Barberet. La grande tombe sur la photo que je vous ai envoyé est celle de la famille Girardy

Quelle est précisément le nom de la ville/village/paroisse où JB Barberet s'est établi ?
Il s'agissait du village de Leesville dans la communauté de Grosse Point, comté de Wayne Michigan. Après 1915 ce village fut incorporé dans la ville de Detroit (même comté). La paroisse est celle de l'Assomption de la sainte Vierge Marie. Les gens l'appellent "Assumption Grotto" parce qu'à coté de l'église il y a une grotte qui imite celle de Lourdes en France.

Savez-vous pourquoi il a choisi la région de Detroit ?
J'ignore pourquoi il a choisi Detroit ; son passeport mentionnait Louisville Kentucky, où vivait une grande communauté alsacienne. J'ai lu à propos de Louisville qu'en 1852 il y avait des troubles politiques et des émeutes opposant pro et anti-catholiques. De même les questions d'esclavage qui débouchèrent sur la guerre de Sécession en 1860. Il a pu alors préférer s'installer plus au nord, tout près de la frontière canadienne ; mais c'est une simple hypothèse. Je ne pense pas qu'il aient connu quelqu'un à Detroit, mais là encore, ce n'est qu'une supposition.

Y avait-il une communauté française à Detroit ?
Les français ont découvert Detroit et il y a eu longtemps une importante communauté française. La plupart des rues portent un nom d'origine française. Les ancêtres de ma grand-mère Ethel Trombly sont arrivés avec Cadillac en 1701.

Combien de temps les descendants de JB ont-il vécu de l'agriculture ?
La fille de Jean-Baptiste, Marie Thérèse Eugenie (Mary) et son mari Frank Almont sont partis vers l'ouest et leur famille continua à pratiquer l'agriculture. Je crois que leurs descendants sont encore cultivateurs près de Seattle de nos jours. Georges Désiré Edouard (Edward) fut le dernier de sa branche à être agriculteur.

Y a-t-il une branche de la famille résidant dans le comté de Wayne ?
Je suis certain qu'il y en a encore, mais la plupart sont partis dans le comté de Macomb, juste au nord. Le secteur où ils vivaient n'a plus une très bonne réputation : criminalité, chômage...

Y a-t-il encore beaucoup de familles d'origine française ou alsacienne dans ce secteur ?
Pas beaucoup à Detroit, mais bien davantage dans les régions avoisinantes, en particulier dans celle de Windsor au Canada, juste de l'autre côté de la rivière de Detroit. Savez-vous combien de Barberet, descendants de Jean Baptiste, vivent encore aux USA de nos jours ?
Mon arbre généalogique recense 571 personnes, dont certains bien sûr sont décédés, et d'autres sont des branches alliées ; mais je n'ai pas compté les enfants de la dernière génération ; donc je dirais que nous sommes environ 500.

Combien de générations entre JB et vous ?
1) JB. 2) Edward. 3) Sylvester. 4) Douglas. 5) Dave (moi)... Mon grand-père et ses enfants ont orthographié leur nom Barbret pour des raisons que j'ignore et plus personne ne l'écrit comme il devrait l'être.

Quelle est l'importance, pour votre famille, du cimetière "Assumption Grotto" Pourquoi les tombes ont-elles été transférées à celui de "Mt Olivet" ?
"Assumption Grotto" est le cimetière où Jean-Baptiste a été enterré ; de même ses fils Edward et Joseph. L'année d'après Mary Schoenherr, femme d'Edward, a été enterrée à "Mt Olivet", aussi la tombe d'Edward fut-elle déplacée dans ce cimetière. Detroit s'étendait à pas de géant et ils ont pensé que le cimetière "Assumption Grotto" risquait d'être détruit ; ils ont donc préféré "Mt Olivet" qui était plus grand.

Plus généralement, les membres actuels de votre famille sont-ils conscients de leurs origines françaises ? Si c'est le cas, ces origines revêtent-elles une importance à leurs yeux ? Existe-t-il des rencontres familiales destinées à commémorer ces souvenirs ?
Oui nous sommes tous conscients et fiers de notre "French heritage". De savoir que nous fûmes parmi les premiers à nous installer sur cette terre. Malheureusement nous n'avons pas organisé de rencontres familiales sur ce thème, mais tout ceci pourrait nous donner l'occasion d'y penser.

Les ancêtres de Jean-Baptiste Barberet

 

L'image de la page d'accueil illustre bien l'émigration européenne au milieu du XIXème siècle, mais il s'agit de l'émigration irlandaise ('Emigrants Leave Ireland' par Henry Doyle)
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