Le Procureur Fiscal, protecteur des pauvres ?
Par LISA
Archive : AD90 2E5 62

Le Procureur Fiscal
Dans une juridiction féodale d'ancien régime (ici la seigneurie de Montreux), le Procureur Fiscal était l'officier chargé de représenter le "Ministère Public" (comme le Procureur de la République actuel) ; il représentait à la fois le seigneur et les particuliers.
Il lui appartenait également de requérir des informations et de porter plainte sur les faits dont il était informé.
Il agissait par voix de réquisition auprès du bailli (détenteur de pouvoirs judiciaires et exécutifs), et ses conclusions étaient déterminantes pour les prononcés des jugements.
Ses actes, comme tous ceux de la seigneurie, étaient (assez lourdement) taxés aux justiciables.

Dans la seigneurie de Montreux, à la fin du 17ème siècle, il représentait avec le bailli l'essentiel du pouvoir administratif auquel les habitants avaient affaire.

Le pauvre et l'orphelin
Parmi les devoirs, sans doute pas tous sympathiques, du procureur fiscal, figurait la protection des orphelins pauvres.

Une information lui étant parvenue, Antoine Vallon, procureur fiscal, requiert en avril 1688 auprès du bailli Claude Reiset l'ordre d'intervenir pour l'établissement d'un inventaire ; cette requète prend toujours la forme d'une "remontrance" ou, comme ici, d'une "supplique" :

Monsieur...
(Monsieur le bailly en
la justice de Montreux,

Supplie humblement le Procureur
fiscal en la seigneurie de Montreux
)
[C'est le procureur fiscal qui supplie le bailli]... sur l'advis qui lui a esté donné que le nommé Girard Blondez demeurant au Vaudieu, oncle maternel de Marie Blondez fille de N. N. et de Guillemette Blondez ses père et mère deslaissée en minorité de laquelle les biens seraient régis et gouvernés par ledit Girard Blondez sans qu'il y ayt eu aucun inventaire desdits biens et qu'il le trouvait troublé de son bon sens, n'ayant jamais rendu aucun compte depuis plusieurs années qu'il en a l'administration, plutost cappable de les dissipper que de les faire valloir et augmenter au profit de ladite pupille, laquelle est en aage suffisant pour (...) et gagner sa vie ; et d'apprendre auprès d'un bon maitre les principes de nostre foy desquels elle est demeurée jusques à présent ignorante par la négligence dudit Blondez  ;
Ce considéré...
(Ce considéré, il vous plaise Monsr., ordonner au suppliant qui est obligé par la deheu de sa charge d'avoir soin des biens et de l'advancement des pauvres orphelins, et au greffier de la justice de) Montreux, de se transporter au lieu dudit Vaudieu pour procéder incessamment à l'inventaire desdits biens, establir un tuteur à ladite pupille lequel rendra bon et fidèle compte pardevant vous et prendra soin de son éducation ...

Réponse du bailli :
Soit fait selon qu'il est requis ...

Le 31 mai, le procureur fiscal se rend au domicile dudit Girard ; on apprend à cette occasion que Marie est la fille de feu Jean Charbonnier (de Traubach), second mari de Guillemette, et que celle-ci a donné un "bail verbal" (pour 4 carris de grus) audit Girard pour les biens qu'elle a hérité de ses parents ; elle est décédée il y a "quelques" années.
Toutefois Marie a un tuteur : Nicolas Turillat, de Bréchaumont.
N'étant pas en mesure d'effectuer l'inventaire des biens de Marie, le procureur fiscal le convoque ainsi que Turillat à l'audience de la justice de Montreux.

La suite de l'histoire
La suite relèverait des archives juridictionnelles, mais nous n'en avons pas trouvé trace.
En revanche, on trouve en juin 1690 un bail sous forme d'amodiation (en nature) et de ferme (en espèces) à ... Girard Blondez des biens de Marie pour le même "loyer" de 4 carris de grus (mesure de Traubach), plus 3 livres de chanvre et 6 Livres d'argent.
On apprend alors que son tuteur est à présent Simon Labouèbe de Lutran.
Il est aussi requis de Girard...
de garder...
Les critiques à l'encontre de Girard n'étaient donc pas entièrement calomnieuses ?

Toujours est-il qu'il décède en avril 1692, célibataire ; ses héritiers sont évidemment Marie, ainsi que Joseph Freibourg, fils de Guillemette et d'Arbogast Freibourg, son dernier mari.
On retrouve ensuite, dans les registres paroissiaux, Marie mariée à Denis Faivre de Valdieu dont elle a 6 enfants de 1697 à 1716 ; en 1699, elle est appelée Coller par le curé, conformément à ce que suggère l'origine de son père.
Elle décède le 25.8.1729 ; elle est appelée Anne Marie "Coler ou Charbonnier" ; on lui donne 57 ans, ce qui, rétrospectivement, lui faisait 16 ans en 1688.
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