La peste à Belfort
Médecin au chevet d'un malade atteint de la peste ; LOBERA DE AVILA, Luis ; Bancket oder Gastmal der Hofe und Edellent ; Francfort, 1563 ; BIU Santé - Paris Descartes
Par LISA & Robert Billerey

1. Cadre historique

Les épidémies de peste se manifestent régulièrement en Europe occidentale de 1347 (peste noire à Marseille) à 1670 (nord-ouest de la France, dernière épidémie avant 1720), selon une période estimée à 5 à 12 ans.

Pour les années 1580, la peste est documentée dans de nombreuses provinces françaises : Plus près de nous, la Lorraine est également touchée, comme on le constate dans d'autres comptes : ceux de la prévôté de Châtenois (88170).

Elle était également présente ou redoutée à Besançon, où le conseil de ville interdit aux habitants de fréquenter les foires et les marchés des alentours (PERNOT, François ; la Franche-Comté espagnole à travers les archives de Simancas, PUFC, 2003)
Des épidémies de peste touchent la Franche-Comté depuis le début des années 1570 : 1571, 1576, 77, 78.
En octobre 1586, Farnese écrit au roi Philippe II d'Espagne que la peste et la famine la plus extrême sévissent en Franche-Comté et obligent à retarder le passage des armées.
À Besançon, on dénombre 1500 morts ; à Vesoul, la ville est désertée ; on estime que 10% de la population comtoise meurt de la peste en 1586-1588 ( LOUIS, Gérard ; la Franche-Comté de Bourgogne pendant la guerre de Trente ans ; thèse, 1995, Besançon)

En Alsace : "Les mauvaises récoltes sont aussi le lot de l'année 1586 avec la recrudescence de l'épidémie de peste à Strasbourg. Cette peste fait des ravages en 1587 et Strasbourg déplore 6300 décès dus à la maladie" (Le climat de 1563 à 1600 en Alsace-Moselle, CLI.M.A.)

2. La peste à Belfort en 1586-1587, telle qu'elle apparaît dans les comptes communaux

La trace de la peste, dans les comptes communaux de l'exercice allant du 24 juin 1586 (Saint Jean-Baptiste) au 23 juin 1587 (AM Belfort CC6) apparaît d'abord, et principalement, au chapitre des dépenses générales, sous le titre
"Missions* faictes et soustenues par ledict Pierre Besancon le jeune Mre bourgeois, sur les receptes precedantes, en l'an du present compte"

Nota : les astérisques* renvoient à notre lexique en ligne.

(1) Item payez et desbourcez pour missions
causant la peste qu'a regnée en ceste
ville en l'an du present compte bien
environ quatre ou cinq mois, tant
pour l'entretenement des enterreurs,
gaiges d'iceulx, fasson de plusieurs
louges* à Brasse, pluches*, pys*, et aultres
utils auxdits enterreurs, pain baillez à
queuay (1) et aultres paoures* de l'hospital
saincte Barbe estans infectez de
peste, que pour un cheval auxdicts
enterreurs et plusieurs aultres neccessitez
durant ladite peste, selon que le
tout a esté compté au conseil le xxiiième
febvrier 87
ic ix # iii s



(2) Item payé à Mre Thiebault Noblat
appoticaire de Montbeliard, pour
medicamens par luy envoyez pour la ville
afin de survenir à ceulx qu'estoient
infectez de peste,
vii # x s


(3) Item payez, tant à Claudot Poussatte,
Jean Bachey que Humbert Pagand,
pour avoir faict le guet vers la
Maletiere dix sepmaines cinq jours,
afin de destourner les estrangiers,
qu'estoient infectez de peste, chacune sepmaine
par vingt solz, selon le marchefz faict
par Messieurs du conseil, faict
x # xiiii s



(4) Le jour de foyre Sainct Mathieu appostre
et evangeliste 86 payé à neufz hommes
que feirent le guet par la foyre et
sur les passages pour cause des bruictz
de peste, chacun 5 s par l'ordonnance du
conseil
ii # v s


(5) Item payé tant à Pierre, que Guillaume Kellet
pour seize livres de cyre, chacune par 12 s
et à Bairbon et sa mère pour avoir
chandeller l'estaulx que fust faict durant
ladite peste, et bruslée en l'eglise dudit
Belfort, à l'honneur de dieu et de
Monsieur sainct Sebastien, afin qu'il
pleust à Dieu appaisir son yre et
cesser ladite maladie contaigieuse, selon
que par messieurs du conseil fust treuvé
bon et expediant, le tout en bonne
devotion
xiii # ii s vi d



(6) Le xviième jour de novembre oudit an 86
après que ledit estaulx fust presenté en
l'eglise dudit Belfort en l'honneur de
dieu et de Monsieur sainct Sebastien,
et que le divin office fust par messieurs
les prevost et chanoines accomplys,
à l'assistance de messieurs du conseil
et une grande partie de la commune, fust
despenduz* par mesdits sieurs prevost chanoines
et conseil au disné
v # vi s


L'épidémie de peste réapparaît une seule fois, dans les comptes 1586-1587, cette fois dans le chapitre
"Aultres missions soustenues par ledit Mre bourgeois, pour achapt de lavons* l'année du présent compte"


(7) Item durant la mortallitée de peste furent
prins* à Claudot Courtot pour les
neccessitez de la ville vingt cinq lavons
que luy sont payez par le commandement de
Messieurs du conseil par
2 # xvi s.


3. Les dépenses occasionnées par la peste

On peut répartir ces dépenses en 5 catégories :
  • prévention
  • Article (4) : surveillance renforcée à l'occasion de la foire de la saint Mathieu 1586 (21 septembre) ; on parle alors seulement de "bruits de peste", puis article (3) : garde aux abords de la ville afin d'éviter l'entrée d'étrangers ; les sommes consacrées à ces mesures se montent à 12 £ 19 sols.
  • charité
  • Elle apparaît dans l'article (1) : pain baillé aux pauvres (paours) de l'hôpital sainte Barbe.
    Le total des dépenses de l'article (1) est de 109 £ 3 sols.
  • soins
  • Article (2) : une somme assez modeste est consacrée à acheter des médicaments à un apothicaire de Montbéliard : 7 £ 10 sols
  • dévotions
  • C'est le poste qui est le plus détaillé dans ce compte (articles 5 et 6) : une cérémonie fut organisée en l'église de Belfort, le 17 novembre 1586, afin "qu'il plût à dieu apaiser son ire" ; pour cela (article 5), fut préparé un certain estaulx.
    Ce mot est à rapprocher d'étal ; il s'agit probablement (comme nous l'indique Robert Billerey) d'une installation destinée à exposer éventuellement des reliques, ou une image de st Sébastien invoqué contre la peste ; cette installation est ornée de chandelles (16 livres de cire consacrées à la "chandeller"), et brûlées (sous forme d'une sorte de chapelle ardente) ; deux personnes ont été rétribuées pour ces tâches.
    L'ensemble est présenté lors de la cérémonie (article 6), qui donne lieu à un dîner réunissant les notables religieux et civils.
    Le coût total de ce poste est chiffré à 18 £ 8 sols et 6 deniers.
  • inhumations
  • L'article (7) évoque l'achat de planches, qui furent probablement utilisées pour la confection de cercueils (2 £ 16 sols).
    Et dans l'article (1) sont incluses les sommes payées aux enterreurs : gages, construction de cabanes, outils (pioches, pics) et un cheval pour le transport des corps.
L'item (1) nous fournit une précision sur la durée de l'épidémie (4 ou 5 mois). Mais aucune information ne filtre sur le nombre de morts dus à cette maladie.

4. Complément : testament à Montbéliard après la peste de 1635

Document et transcription par Robert Billerey.

Testament de Jean-Christophe MACLER (AM Montbéliard FF 338)
               18 septembre 1635

   M. Jehan Christofle Macler, ministre de
la parole de Dieu en ce lieu, aÿant esté grièsvement
malade il y a quelque temps, fut requis de faire un
testament, ce qu’il fit par devant le sieur greffier
Marchand, et tesmoins à ce requis. En icelui il fit des
loyaux à ses neueus et nieces, qu’ils prendroient sur ses obligations. Mais aÿant depuis
recogneu que par la ruine générale du pays ses tiltres
et obligations estoient devenus insoluables, et par
ce moÿen il n’auroit rien donné, ou bien il
faudroit que sa femme les paÿat sur son propre bien,
qui seroit lui faire tort et du tout contre ma
uolonté, car nous n’auons point d’argent dans le
cofre, l’aÿant despensé apres nos pensionnaires,
qui s’en sont allés sans auoir moÿen de me paÿer.
C’est pourquoÿ ledict Macler estant frappé de peste, et
sa femme quant et quant, dont ils ne sçauent
quoment Dieu pourroit disposer d’eux : il a voulu
consigner par escrit (mais escrit d’une main trem-
blante, toutesfois auec un ingenium sain et entier)
ce qu’il vouloit estre observé apres son trespas,
réuoqué son sus mentionné testament, ou l’anullit
par cestui-ci.
   Premierement il recommande son ame à Dieu son
createur, redempteur et sanctificateur, le
supliant du parfond de son coeur de l’introduire en
son S. Royaume céleste quand elle sortira de son
corps.
   Il legue et donne aux poures* cinquante francs
forts qui seront appliqués à cense au profit des dicts poures,
et sera déclaré en la lettre de constitution de cense
de qui prouiennent les dits cinquante francs.
   Je(3) legue à mon frere M. Nicolas Macler ma robbe de ministre.
   Je legue à Dauid Macler son fils mes liures et
toute ma biblioteque.
   Je legue à Marc Bouchlin ma meilleure
uesture à son choix.
   Je legue à Magdeleine Bouchlin un lict.
   Je legue à Marie Magdeleine Macler une
bague auec une turquoise.
   A Catherine Macler, une bague auec un rubis.
De là j’appele et déclare ma femme Catherine
Bohÿ, pour heritiere generale et uniuerselle de
tous ses biens desquels elle en tirera ce qu’alle
pourra. Faict à Montbeliard le 18 de septem-
bre 1635.
      Jehan Christophle Macler
      M. Pierre Tuefferd, commis tesmoin ayant assisté à la lecture du susdit testament,
faite par led sieur Macler.
      N. Dargent, chirurgien.


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NOTES

1 queuay : lecture incertaine ; à rapprocher peut-être de cuvert = homme de basse condition,
2 lavon : planche de bois
3 à partir de cette ligne, le testateur est désigné à la première personne, et non plus à la troisième

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