Belfort après la guerre de Trente Ans
BM Colmar MS 958
Par LISA
BM Colmar MS 958
La bibliothèque municipale de Colmar possède un manuscrit, daté de 1661 à 1673, coté MS 958, consacré à la description, en 1667, du comté de Ferrette et de ses revenus.
Ce recueil a été rédigé pour servir à défendre le duc de Mazarin "contre la prétention de Monr. l'évêque de Basle sur le comté de Ferrette".
On pourra trouver ici une introduction à ce manuscrit.
Bien qu'il soit d'une lecture aisée, il parait intéressant d'en transcrire quelques extraits.
Pour commencer, les chapitres consacrés à Belfort et à son château.

Après une description générale d'une ville qui peine à se relever des conséquences de la guerre de Trente Ans, sont évoqués les institutions religieuses, les hôpitaux, les justices, et pour finir, le plus important pour le destinataire de l'ouvrage : les revenus seigneuriaux.
Pages concernant la ville et château de Belfort (pp. 95 à 107)






On pourra trouver dans cet autre article des représentations de la bourgade du XVIIème siècle, issues de la publication du général Papuchon dans un BSBE de 1888.



La ville

Belfort est une petite ville de la Haute Alsace
bastie de figure triangulaire sur le penchant d'un
costau. La caducité de ses bastimens fort ruineux
est une tesmoignage autentique de son ancienneté ;
quoyqu'elle nait jamais esté beaucoup plus grande
qu'elle se trouve aujourd'huy, l'on y a néantmoins


compté avant les dernières guerres jusqu'à deux
cens feux qui tous estoient occupez par un très grand
nombre de bourgeois et habitans de toutes sortes de
mestiers et marchandises, entre autres de cuirs et
tanneries. Auiourd'huy le nombre de ces maisons
se trouve réduit à quatre vingts quatre, celuy
des bourgeois à soixante neuf, et celluy des
habitants, manouvriers et autres à vingt cinq,
faisant en tout 94 chefs de famille, sans u
comprendre les veufves, apprentis, serviteurs
et pauvres.

Mais sy le nombre des maisons se trouve s'y
fort diminué, celuy des charriots et charrues y
est en récompense augmenté de plus de deux tiers :
car, avant les guerres, les bourgeois, ne s'occupant
qu'à leurs trafficqs et marchandises, faisoient
labourer leurs heritages par les paisans des
villages circonvoisins, mais auiourd'huy ils sont
contrains par la nécessité de faire valloir leurs
biens par leurs mains. Et c'est ce qui faict que
l'on compte présentement jusqu'à vingt trois
charriots ou charrues tant à boeufs qu'à
chevaux dans la ville.

De quelque costé que l'on aborde cette ville on
ne peut que l'on n'aime sa scituation puisqu'lle
est au milieu d'un terroir qu'une petite rivière
fort poissonneuse en truittes, appelée la Lie (1)
arrouse de ses eaues, que les bois enferment de
toutes parts et que les prairies et terres labourables
partagent agréablement. Le circuit de ce territoire
est de deux grandes heures, et il porte seigles, avoines
et très beaux froments.

La paroisse

Cette ville despend de l'archevesché de Bezançon
pour l'espirituel, la paroisse scituée hors l'enceinte
des murailles, au milieu de le prerie, subsiste encore
et s'appelle la paroisse de Brasse, mais l'inocom-
modité qu'il y avoit d'aller sy loing pour les
sacremens joint à plusieurs autres considérations
obligèrent les supérieurs eclésiastiques et autres
à transférer le service parochial en l'église
collégialle de la ville, en y establisant pour cet
effet les fonds baptismeaux & réservant
néantmoins tousiours certains jours de l'année pour
célébrer les saincts offices en l'église de Brasse
où les parroissiens, tant de la ville que des villages
d'alentour sont obligez d'assister.
L'église collegialle, qui est la seulle église qu'il
y ait dans la ville est d'une fondation très ancienne,
pour unze chanoines et un provost, qui prend
le double dans les distributions des grains &
l'un des chanoines faict l'office de curé et
administre les sacremens, et est appellé vicaire.
Le revenu destiné pour leur entretient est très
considérable et monte à plus de cent escus pour
chacun, consistant en dixmes, terres labourables,
prez, moulins, rentes et fondations, outre lequel


ils confèrent encore deux ou trois cures dans l'estendue
de la seigneurie. Le seigneur est sans contredit
collateur de ces douze prébandes, dont il n'y en a
présentement que quatre remplies. Le vicaire
a, outre le revenu de son canonicat, le casuel de
l'église et un bichot de froment, à prendre sur
toutes les dixmes du chapitre.
Quoyque le vaisseau de l'église soit petit et
irrégulier, et que la fabrique ait un très médiocre
revenu pour l'entretenir, en sorte qu'on est obligé
de lever une contribution par teste sur les paroissiens
quand il est besoing de faire quelque réparation
tant soit peu considérable. Néantmoins il y a
trois ou quatre chapelles fondeez, d'un assez beau
revenu.

Les chapelles

La chapelle Ste Catherine, à la collation
de Mr. de Bezançon de Cravanche (2), est de plus
de deux cens livres, le curé de Chastenoy en est
possesseur et la dessert à trois messes par semaine.
La chapelle du Puis, fondée en l'honneur du Saint
Sacrement est possédée par le provost du chapitre
et a près de trois cens livres de revenu, trois
messes par semaine.
La chapelle du chasteau, à la collation du
seigneur est de cinq bichots de grains ou cent
livres au choix du chapellein, moyennant quoy
il est obligé à trois messes par chacune semaine
en ladite chapelle du chasteau, préférant touiours
les dimanches et festes qui arrivent dans la semaine
aux autres jours.
La chapelle de St Sébastien, dont le seigneur
et le chapitre sont collateurs alternativement
possède une maison et deux jardins à la porte
de la ville, une chenevière de deux quartiers, un
morceau de pré et environ vingt huict livres B.
de rente. Mons. Jean Jean (3) chanoine en est
chapellein
La chapelle de la Ste Trinité a la mesme collation
possè(de) deux jardins proche la ville, une petite
maison et environ 10 livres B. de rente annuelle ;
celui qui en est pourveu est absent depuis longtemps.
La chapelle de St George à la collation des srs.
Deschamps (4) possède deux faussières de pré proche
la forge, et un oyche d'un coupeau et demy en
la Vaux.
La chapelle St Michel, dont le chapitre est
collateur, a un verger sur les fosse de la ville
en environ une faussière de pré et une livre douze
sols B. de rente.
La chapelle de l'Annonciation, à la collation
du chapitre, a de revenu douze livres B.
La chapelle des barons de Morimont peut
avoir environ 6 livres B. de revenu (5).

Les hôpitaux et le couvent

Oultre ces bénéfices fondez et rentez il y a dans
la ville un hospital soubs le titre de Ste Barbe
qui possède, au raport de plusieurs personnes, plus
de quatre cens livres de revenu, sans qu'on ait peu


scavoir jusqu'à présent à quoy ce bien est employé
puisque l'on n'y reçoit ny malades ny passans
hors quelques uns par rencontre, à qui l'on donne
quelque miche de pain et que l'on oblige de vuider
au plus tost. Un des trois Mres bourgeois en a
l'administration et le gouvernement.
Un autre petit hospital, appellé l'hospital
de l'église
(6) est joignant la porte basse de la ville
où il y a trois vieilles femmes ausquelles le
chapitre est obligé de donner toutes les semaines
quelque mesure de grains et aultres commoditez
pour leur subsistance, à quoy il ne satisfaict
seulement qu'en parties, l'on y dit quelque fois
la messe, dans une petite chapelle qui paroist
assez ancienne.
À une portée de mousquet de la ville se voit,
au milieu de la prerie le couvent des pères
Capucins, basty enn l'an 1619 pour douze religieux
qui y mènent une vie fort exemplaire, et
rendent des services considérables au peuple, soit
par des confessions ou par les prédications. Les
chanoines sont obligez de leur donner par aumosne
seize quartes de froment pour la chaire qu'ils
remplissent, festes et dimanche pendant toute
l'année.

Les justices

Il y a deux sortes de justice dans la ville (9) ; la
première est celle des bourgeois, composée de neuf
des plus notables, au milieu desquels le provost
de la seigneur(ie), seulement dans les causes intentées
par devant ladite justice, non dans celles des appellations (7).
Elle se doibt tenir tous les quinze jours. Le greffier
de la seigneurie y doit estre présant pour inscrire
les sentences, qui se rendent, soit dans les causes
intentées, soit dans celles des appellations.

L'autre justice est des officiers de la seigneurie
et s'appelle l'audience ; elle se tient ordinairement
pour juger toutes sortes de causes, tant actions
réelles que personnelles, tousiours avec amendes au
seigneur, et est composée de tous les officiers de la seigneurie
de Belfort, seulement à scavoir du bailly, du
recepveur, du tabellion, du provost, du bailly
de Rosemont, du grand maire de l'Assise, et du
provost d'Angeot. Extraordinairement, pour juger
des appellations, et est composée, outre les officiers
cy dessus, des chatellain, provost et tabellion de
Delles.

L'audiance ordinaire se doit tenir tous les huict
jours, et l'extraordinaire seulement lorsque
le grand nombre des appellations le requiert,
lesquelles en seconde instance vont pardevant
les neuf bourgeois de la justice, puis en troisiesme
instance par devant les officiers de la seigneurie,
et en dernière instance à la chambre souveraine
d'Alsace à Ensishem.
La justice de la ville peut condamner aux
amendes ordinaires qui sont toutes au proffit du


seigneur, la coustume du lieu veut que les amendes
soient au double pour les délicts commis depuis
dimanche à midy jusqu'au mardy à la mesme
heure, et simple pour tout le reste de la semaine,
scavoir trois livres B. valant quatre livres
monnoye de France.
Pour les amendes arbitraires, pareillement
aplicquables au seigneur, il n'y a que luy ou
ses officiers qui les adiuge.
Quant au criminel, l'accusé estant saisy est
conduit dans les prisons de la seigneurie et
son procez estant instruit et parfait par vingt
quatre juges, du nombre desquels sont les susdicts
neuf bourgeois et le reste de ladite seigneurie
et de la provosté. L'on demande advis à la
Chambre que l'on est obligé de suivre.

Les droits des officiers seigneuriaux

Les droits du provost consistent aux petites
amendes de chacune cinq sols quatre deniers,
plus de chaque deffaut des parties 4 sols B.
Plus son disné à chaque justice où il assiste
ou bien en argent seize sols huict deniers que
la ville luy paye.
Plus, pour le règlement du quartal, pour les
justices extraordinaires, pour les sceaux des
appellations, pour les lettres de sentences, pour
l'institution des tuteurs, et pour le règlement
des poids et mesures 14 sols B. par an 20 livres.
Plus de chaque audition de comptes des communautéz
et fabriques trente-trois sols quatre deniers.
Plus un pré de la seigneurie affecté aux
provosts affermé vingt sept livres.
Pour le droit d'emmenage et voiture en la
ville pendant huict jours entre Noël et la saincte
Hilaire neuf livres.
Plus, pour les visites dans les lieux de la seigneurie,
un florin et à disner.
Tous les officiers ont le mesme droit.
Plus, de tous les appointemens et sentences,
quatre sols baslois.
Plus l'exemption de courvées et autres charges.
Pour ce qui est du tabellion qui garde les sceaux
de la seigneurie. Il a, de tous les contrats qui se font
par tous les autres tabellions, pour son droit
du sceau, quatre sols B. pour les dix premières
livres et deux rappes (8) pour chacune livre au dessus
de la susdite somme.

Le domaine seigneurial

Le domaine du seigneur consiste, tant en
fond de terre, préz, et bois qu'en dixmes, rentes,
amendes, et autres droitz.
1° Trente deux journaux de terres labourables
2° Trois prez contenant environ vingt faucières
3° Un jardin hors la porte contenant un quart de
journau
4° Le bois d'achapt où les bourgeois qui mettent
leurs cochons au glands payent trois deniers par pièce
5° Une rente de cent livres sur une maison


dans la rue du milieu.
6° Le moulin, affermé à vingt neuf bichots
et une pistolle pour la cire #
7° Le four banal, affermé à 117 livres 13 sols
8° Le droit d'emménage sous la halle, affermé
à cinq cens trente livres de Basle
9° Les amendes ordinaires de quatre livres
10° La dixme de froment et avoine, montant
à unze bichots et demy
11° La dixme d'orge, à vingt neuf quartes et demie,
non compris la part des chanoines qui ont le
sixiesme de toutes les dixmes
12° Deux pièces de terre derrière l'église de Brasse
debvant au seigneur un quartot de tout ce qui
est semé
13° Une livre de cire pour chacun bichot de
toutes les dixmes, et six deniers pour chacune
quarte, lesquels servent pour donner à disné
aux officiers de la seigneurie qui assistent
aux publications des dixmes
14° La rivière dans laquelle on permet aux
bourgeois de pescher
15° Le privilège de se fournir au marché de
toutes choses auparavant qu'aucun puisse
achepter qu'après la provision de la maison
du seigneur faicte.

Sur tout ce revenu, le seigneur donne annuellement
1° Au provost d'Angeot 8 livres et à la justice

# Il est banal,
toute la prévosté
de Belfort s'y doit
faire servir mesme
les villages de
Baviliers et de Buct.
Le moulin nouvellement
construit ne doit
servir que pour les
forteresses et pour ceux
qui auront
permission d'y aller
de la part
du meusnier de l'ancien (?)
nonobstant la banalité.
d'Angeot, sur les amendes, quatre livres
2° Au tabellion de Belfort 6 livres 13 sols 4 deniers,
au portier de la ville 13 sols 4 deniers, et au
Me des hautes œuvres trente livres.
3° Au chapitre de Belfort 66 livres 13 sols 4 deniers
et la moitié du dimage d'Éloy
4° Trente quartes de seigle au bailly de
Rosemont
5° Un bichot de froment aux pères Picquepuces
de Giromagny
6° Quatre livres de cire à la fabrique de sainct
Christople.
7° Au chapellain du chasteau 5 bichots, moitié
froment et avoine, ou cent livres.

Le domaine de la ville

1° La ville possède en propre deux petits bois.
L'un s'appelle le bois de Bais, de trois cens arpens
et l'autre appellé le bois de la Perche qui n'est
presque plus que tailly pour avoir esté coupé
pour l'entretien de la forge
2° Un petit estang de peu de port
3° Le droit de pescher trois jours par semaine
dans la rivière sans retz ni filletz, ce privilège
est pour les bourgeois en particulier
4° Le droit de vendre s'et vallant douze cens
livres tournois
5° Le droit de longal sur le vin vallant environ
huict cens livres
6° Le droit de banvin vallant cens soixante livres


Le reste des revenus consiste en quelques casuels
comme réception des bourgeois, gagealles et autres
qui peuvent valoir environ trois cens livres.
Mais sy la ville a quelques revenus d'un costé
elle est suiette à beaucoup de frais et de dépence
de l'autre, tant pour l'entretient des murailles,
points, portes, fontaines que gages des serviteurs,
tant de ville que d'église, comme aussy pour le
payement de la rente de trente mil livres
qu'elle doibt depuis plusieurs années.
Le sr. Megret demeurant à Angeot a le toisé
du milieu de la ville, et la chapelle saincte
Catherine celuy du tour, chaque toise doibt
un sols
Il y a fort peu de terres en friche.
Nota qu'il y a à la page ... de ce livre un appointement rendu
contre les chanoines de Belfort par lequele ils sont descheus de
dixmes ny rien entreprendre dans la grande dixme derrière les Capucins de Belfort.

Du chasteau

Le chasteau de Belfort qui commande à la
ville et à toute la campagne est assis sur un
roc fort escarpé du costé de la ville et de la
rivière, et, du costé de la terre, environné d'un
fossé taillé dans le roc, enveloppé d'un ouvrage
à couronne au dedans duquel est une faut braye.
Il est gardé par un destachement de la garnison
de Brisach, soubs le commandement d'un lieute-
nant qui retent (?) de deux mois en deux mois
Cette place, estant restablie comme l'on espère,
dans peu peut passer pour un des boullevars
de la France contre les insultes de ceux qui
oseraient l'attaquer.

NOTES


1 La Lie : sans doute la Savoureuse ?
2 Les Besançon "de Cravanche" sont les descendants de Jean Besançon et de sa femme Barbe Deschamps ; à ce titre, ils sont co-collateurs de la chapelle Ste-Catherine, avec les Camus de Coeurmont, et de la chapelle St-George, dans l'église collégiale
3 Jean Gehand, chanoine, décédé le 18/07/1669 :
4 Les sieurs Deschamps sont les héritiers de Deyle Deschamps, seigneur de Fresse, Belonchamp et La Côte, copropriétaire de mines et de forges et de plusieurs étangs, dont celui du Malsaucy
5 Comparaison entre la liste des chapelles de ce document et celle fournie par M. Colney (Les paroisses du territoire de Belfort, Roland Fiétier – Michel Colney, 1993)
Dans ce documentd'après M. Colneyremarque
Ste CatherineId.les collateurs sont aussi les héritiers Deschamps
du Puis / du St SacrementSte Eucharistie ?
du châteauSt Maurice & St Jacquesau château
St SébastienId.
Ste TrinitéId.dans le cloître
St GeorgeId.
St MichelId.
de l'AnnonciationId.dans le cloître
des barons de MorimontSte Marie Madeleineà côté de l'église
Colney cite encore de nombreuses autres chapelles, dans l'église ou ailleurs.
6 Hôpital des Poules (Colney, ibid.)
7 Appellations : appels
8 Rappe : ancienne monnaie frappée en Suisse, dans la principauté de Montbéliard et certaines régions d'Allemagne, et utilisée dans les régions voisines. Une rappe valait 1/10 de batz
9 Voir à ce sujet : Perret (Pascale), Le pouvoir municipal à Belfort sous l’Ancien Régime, mémoire de maîtrise, 1995

Cet article est publié par LISA sous la seule responsabilité de son auteur.  
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