Français, allemand, latin … ou quand les curés traduisaient les patronymes
Der Schmidt : le maréchal Université Cologne
Par D. J. Lougnot
AD90 5 Mi 95-96

Dans notre région proche de la frontière entre les parlers romans et germaniques, il n’est pas rare de voir certains patronymes évoluer au cours du temps au hasard de l’origine des clercs ou des officiers seigneuriaux.

Le dépouillement des registres de catholicité ou des archives notariales ou juridictionnelles des seigneuries de Montreux ou de Florimont ou de la prévôté de Traubach du XVIIe siècle foisonne d’exemples plus ou moins évidents à décoder pour qui a l’habitude de papillonner dans ce type de document. On y rencontre classiquement des CHARBONNIER, BLANC, DIMANCHE ou DEMANGE, PREVOT, LACOUR, COMTE, POTIER, LIEVRE qui deviennent KOHLER, WEISS, SONNTAG, SCHULTHEISS, HOFF, GRAF ou GRAFF, HAFFNER, HASSLER. Il n’y a pas là matière à longs développements.

On trouve aussi certains exemples de traduction de patronymes germaniques qui font sourire par leur caractère artificiel et inattendu. L’exemple le plus grotesque est sans doute celui de SCHOENBERG de Recouvrance traduit en BELLEMONTAGNE !

Généralement, ces évolutions se sont manifestées de façon irréversible. Ainsi, Hilaire SONNTAG, greffier de Montreux avant la guerre de Trente Ans, laissa plusieurs fils connus uniquement sous le patronyme de DEMANGE pour l’un et DIMANCHE pour les autres. De même, les HEITZMAN qui ont occupé de hautes fonctions dans l’administration de la ville de Belfort au XVe et XVIe siècles sont définitivement devenus des HECHEMENT au XVIIe. Il n’est ainsi pas trop compliqué de s’y retrouver dans la filiation de ces familles.

A travers l’exemple suivant, on peut voir que les choses se compliquent au point de devenir pratiquement inextricables lorsque les traductions de patronymes s’accompagnent de transcriptions phonétiques plus ou moins hasardeuses des patronymes. Ainsi, vers 1660, de nombreux immigrants venus de Suisse voisine, s’installent dans notre région pour compenser les pertes considérables de population liées à la Guerre de Trente Ans. Parmi ceux-ci, Ulrich SCHMIDT et son épouse Elena, s’installent à Valdieu où ils travaillent sur les terres de l’abbaye. Le frère d’Elena, Christ KERN est grangier des pères jésuites. D’après les minutes d’un procès en date du 29 octobre 1664, on apprend qu’Ulrich SCHMIDT était originaire de Steffisburg dans le canton de Berne.

Le 8 février 1665, Ulrich et Elena ont une première fille Elisabeth, baptisée sous le patronyme de MARECHAUL. Le rédacteur de l’acte a tout simplement traduit SCHMIED (qui signifie forgeron) en un équivalent français approximatif. Le patronyme de l’épouse est transcrit phonétiquement (QUERNE).

Elisabeth Marechaul

Deux ans plus tard, le 26 décembre 1666, un garçon prénommé Girard vient au monde dans cette famille. Dans le registre des baptêmes, il est d’abord déclaré sous le nom de MARECHAUL comme sa sœur aînée, puis le rédacteur se ressaisit pour l’affubler de celui de FAIBVRE. On peut s’interroger sur le pourquoi de cette nouvelle identité. A posteriori, cela parait simple puisqu’elle n’est rien d’autre que la traduction passée par le latin, de SCHMIED (en latin faber) finalement francisée en FAIBVRE. Peut-être était-ce pour faire plaisir au parrain, Girardus FAIBVRE, homonyme mais sans le moindre lien de parenté avec l’enfant.

Girard Faibvre

Le 19 février 1669, Anne-Marie vient agrandir la fratrie. Elle est baptisée sous le patronyme de FABRI. On revient cette fois à la simple transcription de la forme latine ! Et le prénom du père évolue en Uldaric.

Marie Fabri

Le 28 septembre 1671 naît Eve, quatrième enfant du couple. Dans la rédaction de l’acte de baptême, le rédacteur revient aux sources : elle est enregistrée comme Ève SCEMITTE, transcription phonétique de SCHMIDT à la façon "ajoulotte" !

Enfin, le 28 décembre 1673 vient au monde le cinquième enfant de ce couple, le dernier né dans la paroisse de Montreux-Jeune. Il est baptisé sous le patronyme de SCEMITTE, le même que sa sœur née deux ans plus tôt.

On voit ainsi que ces cinq enfants, des mêmes père et mère, ont été enregistrés sous trois identités différentes, l’une inspirée de la traduction française de leur patronyme, la deuxième déduite de sa traduction latine et la troisième correspondant à sa transcription phonétique en français.

Il est évident que même le plus expérimenté des utilisateurs du site LISA, manipulant parfaitement les caractères de remplacement (joker), n’aurait jamais pu reconstituer cette fratrie.

Mais l’affaire ne s’arrête pas là !

Entre 1674 et 1678, le couple quitte Valdieu pour s’installer à Arpe (dénomination française du village d’Elbach), sans doute sur des terres collongères de l’abbaye. L’année 1678 est marquée par un procès à rebondissement entre Ulrich SCHMIDT et son beau-frère Christ KERN. En mai, le premier intente une action contre le second, action visant à faire annuler le testament de leur beau-père et père, respectivement, au prétexte qu’il n’a pas été enregistré par un tabellion. Dans cette affaire, au hasard des minutes des cinq audiences de ce procès, Ulrich SCHMIDT voit son patronyme évoluer progressivement pour finir en Oulry MARCHAL le 13 décembre 1678, au moment de la sentence par laquelle le tribunal lui donne raison.

Dans le même temps, Christ KERN et son épouse ont une fille baptisée Barbe le 30 novembre 1677. Dans l’acte correspondant, la mère originaire de Wisen dans le canton de Soleure, et qui se nomme en réalité LÄMBLIN, est appelée Anne MOUTON (en allemand Lamm = agneau ou en alsacien Lamala = petit mouton). Son frère, Jean-Jacques dont les descendants portent aujourd’hui le nom de LE(Y)MELET, à fait souche dans le secteur de Montreux.

Et pour compléter l’inventaire des patronymes inattendus autour de cette famille, Claire, une fille de Christ KERN, se verra dénommée Claire FROMENT dans l’acte de mariage de son fils, Jean-Claude REBRASSIER, le 15 octobre 1742 à Montreux-Jeune (en français Korn = grain).



Et pour conclure, il est difficile de résister à la tentation d’évoquer la traduction hautement improbable du patronyme KIRCHER/KILCHER, porté par une famille de meuniers originaire de Rueschegg dans le canton de Berne, établie à Chavanatte à la fin du XVIIe siècle.

de motié

Le 19 mai 1732, Agathe, fille de Jean-Henri HENNIN et de Marie de MOTIE de Chavannes les Grands, est baptisée à Montreux-Jeune. En fait, le patronyme de la mère, de MOTIE, n’est rien d’autre que la traduction de l’allemand kircher en patois roman, la langue vernaculaire utilisée par nos ancêtres de l’actuel Territoire de Belfort (dans ce patois, église se dit motié).

Cet article est publié par LISA sous la seule responsabilité de son auteur.  
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