Décès suspect à l'auberge
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Par Denis Cavalotti


Extrait du registre des décès de la commune de Lachapelle-sous-Rougemont pour l'année 1853 (1840-1869 - 1 E 58 N.D.M. 3 - image 210/211)

L'orthographe d'origine est conservée dans la retranscription.


Habituellement, les actes d'état civil sont des textes très formatés, qui ne laissent guère de place à l'originalité, particulièrement en ce qui concerne les actes de décès. Il est extrêmement rare d'y voir figurer les circonstances ou la cause de la mort sauf parfois si celle-ci a des origines curieuses, nécessitant les constatations légales du Juge de Paix, comme pour un homme retrouvé au petit matin, mort par noyade dans la dizaine de centimètres d'eau d'un fossé, devant une auberge dont on peut imaginer qu'il est sorti, dans la nuit, passablement éméché ; ou dramatiques, comme c'est le cas pour une fillette, morte écrasée en pleine rue du village, par les roues d'un chariot qui manœuvrait.


Mais ici, rien de tel, et si la cause du décès de cet "inconnu" doit être parfaitement "naturelle", puisqu'elle n'est même pas évoquée, son acte de décès n'en retient pas moins l'attention par sa forme et son contenu, totalement inhabituels. Jugez-en.



D'un individu inconnu

« L'an mil huit cent cinquante trois le trente mars à midi par devant nous François Grisez, maire et officier de l'état civil de la commune de Lachapelle-sous-Rougemont, canton de Fontaine, département du Haut-Rhin, sont comparus Jean Joseph Thouvenot, âgé de cinquante-six ans, aubergiste et François Bischoff, âgé de trente-huit ans, journalier, l'un et l'autre domiciliés en cette commune, lesquels ont déclaré ... »


Après ces formules rituelles, voilà exposée la description du décor de la scène :

« … qu'un individu à eux inconnu, du sexe masculin, est décédé aujourd'hui à midi dans l'auberge du premier déclarant ; nous y étant transporté pour nous assurer …


de ce décès, nous avons trouvé dans la chambre au rez-de-chaussée prenant jour au midi, un individu mort, assis sur un fauteuil ...»

Suit alors la rédaction de ce qui pourrait être une fiche signalétique, extrêmement complète et détaillée :

«… paraissant  âgé d'environ soixante ans, taille d'un mètre soixante-quatre centimètres, cheveux chatains clair grisonnants, front découvert, sourcils chatains clairs, yeux gris, nez gros, bouche moyenne, barbe chatain clair, menton rond, visage allongé, teint pal, revétu d'un vieux pantalon de drap gris, de bas de laine grise, de souliers moitié usés, d'un gilet de laine rayé vert et rouge, d'une veste de laine noire tricotée, d'une cravate de coton jaune et d'une casquette de velours blanc avec visière en cuir, un vieux rasoir et un petit couteau de poche, un vieux porte feuille... »

A ce point, on s'attend, comme cela pourrait être fait par une institution policière, au lancement d'un « Appel à témoin » pour identifier cet individu !


Mais la suite est toute autre puisqu'on apprend aussitôt que cet inconnu n'est pas aussi inconnu qu'on nous l'a laissé penser, car il possède :


«... un passeport d'indigent délivré à Pau (basse pirénés) le quatre février mil huit cent cinquante-trois, portant le nom de Zacharie, Charles, cordonnier natif de Magdebourg (Prusse), plus un vieux collet de drap vert, et deux petit livres de prières. »


Stupeur et fin du mystère !

Alors ? À quoi sert tout cela, puisque l'identité de "l'inconnu" – nom, prénom, profession, origine – est parfaitement connue et révélée ?


Et cela nous laisse perplexe devant cette nouvelle énigme :

Qu'est-ce qui a bien pu inciter le rédacteur de cet acte à relater avec force détails et un certain suspens, loin du contenu habituel d'un acte de décès, ce qu'il savait très bien n'être destiné qu'à rester consigné dans un registre, et certainement ignoré de tous, au fond d'une armoire poussiéreuse, pour de nombreuses années ?


Peut-être … l'intuition, qu'un jour, cela pourrait faire les délices d'un « fouineur » qui alors se demanderait :

Qu'est-ce qui a bien pu ….

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